
De la précipitation au précipice, il n’y a qu’un pas. C’est la crise. Les urgences et les services des hôpitaux sont engorgés. Il y a urgence à remettre de l’ordre, à stabiliser la situation, à faire face, à redonner du sens. Urgence, urgence, urgence. Urgence à reprendre le chemin de l’école...
Alerte rouge. Le rouge est évoqué dans le découpage du pays, nouvellement territorialisé. Le rouge parle aux Français. Le rouge comme la pointe du stylo correcteur de l’enseignant. Le rouge qui alerte, le rouge qui corrige, le rouge qui raye, le rouge qui valide. La rouge de l’urgence. Et voici que pointe l’idée de l’urgence de l’école, l’urgence de la reprise.
L’urgence du retour à l’école (...)
C’est l’effervescence dans les équipes enseignantes et les municipalités pour trouver un consensus, des solutions cohérentes conformes aux missions des uns et des autres, sans confondre les responsabilités respectives, un vrai casse-tête, afin d’accueillir les enfants car l’urgence est là, le retour à l’école à partir du 12 mai prochain. Pas de panique, le gouvernement a tout prévu, un guide d’une soixantaine de pages s’appuyant en partie sur l’avis du Conseil scientifique, pour accompagner le retour à l’école. Quelques jours pour s’organiser et tout sera opérationnel le 12 mai ; on connaît l’esprit de créativité et l’ingéniosité des enseignants. On peut compter sur leur bonne volonté, leur esprit pragmatique et leur flexibilité. On est dans l’urgence. Il y a urgence à récupérer des milliers d’élèves « décrocheurs », à combler les inégalités. On est en crise, tous unis, tous solidaires. Douze millions d’élèves attendent impatiemment de reprendre les cours, près de vingt millions de salariés de reprendre le travail. L’école est une priorité, autant sociale qu’économique, a dit le premier ministre Edouard Philippe.
Accueillir, discipliner, rappeler les gestes barrières, s’organiser… et l’enseignement dans tout ça ?
Le gouvernement aurait-il omis d’évoquer les contenus, l’importance de la continuité pédagogique, sous-évalué une école jusqu’alors sous le joug d’évaluations abondantes, d’assignations incessantes à l’efficacité, et de programmes chargés, infaisables autrement que dans une course effrénée ? L’école n’est pas une maladie. Il ne suffit pas de passer du baume en urgence, de suturer, de dire que tout est sous contrôle et se déroulera au mieux, pour que cela le soit. (...)
Les élèves ne sont ni des malades ni des machines, ce sont des apprenants et avant tout des êtres humains sensibles, dotés de conscience et d’affects. Comment leur expliquer que tout ce qu’ils connaissaient de l’école ne sera plus valable ? Comment vont-ils vivre dans leur corps et dans leur tête cette nouvelle forme d’école totalement rationnalisée à défaut d’être rationnelle, ultra structurée, presque conditionnée ? (...)
Quid de la « sélection », quels enfants pourront réellement être accueillis ? L’école à la carte et facultative, on est loin de l’école pour tous, égalitaire et obligatoire de la République.
Que voulons-nous et que décidons-nous de mettre en place pour notre planète et nos enfants ? Oui, de nouvelles idées vont émerger. Oui, l’on sera amené à redéfinir l’école, les contenus d’enseignement, leurs formes ainsi que la profession d’enseignant.
Mais une nouvelle école ne se choisit pas dans l’urgence, dans l’affolement des sphères gouvernementales et ministérielles. Au mieux, les enseignants et les élèves s’adapteront, ils feront avec ou sans… Leur laisse-t-on véritablement le choix ?