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La politique au miroir déformant des séries télévisées
Article mis en ligne le 19 septembre 2017
dernière modification le 18 septembre 2017

Diffusé entre 1999 et 2006 sur NBC, À la Maison Blanche (The West Wing), d’Aaron Sorkin, est devenu une référence outre-Atlantique. Cette chronique des deux mandats d’un président démocrate imaginaire a inspiré d’autres productions à succès mettant en scène l’exercice du pouvoir, telles Borgen, au Danemark (2010-2013), puis l’américaine House of Cards, qui a débuté en 2013 sur Netflix.

(...) Borgen relate le parcours de Birgitte Nyborg, propulsée au poste de première ministre après la victoire-surprise de son parti aux élections législatives. Au Danemark, le succès de la série aurait préparé l’élection de Mme Helle Thorning-Schmidt, première ministre (travailliste) de 2011 à 2015 et première femme à exercer cette fonction. Un rapprochement similaire avait été établi entre la victoire de M. Barack Obama en 2008 et celle du Latino Matt Santos, président démocrate élu en 2006 dans la dernière saison d’À la Maison Blanche. Pour créer ce personnage, les scénaristes s’étaient d’ailleurs inspirés du jeune sénateur Obama, rendu célèbre par son discours à la Convention démocrate à l’été 2004 [2]…

Des « fictions didactiques » ?

Miroirs du monde politique, les séries seraient des « fictions didactiques », selon certains travaux universitaires [3]. Dans un documentaire sur À la Maison Blanche, plusieurs anciens présidents américains, MM. Gerald Ford, Jimmy Carter ou William Clinton, louaient son réalisme [4]. Ce serait là un élément décisif du succès de ces fictions. Les scénaristes s’appuient sur des consultants issus du monde politique afin de représenter le plus justement possible le fonctionnement des institutions, le discours sur l’état de l’Union, les négociations commerciales entre les États-Unis et la Chine ou encore la visite du premier ministre danois en Afghanistan. « La plupart des enjeux qui apparaissent sont vraisemblables, et les événements pourraient très bien se dérouler ainsi », revendique Beau Willimon, le créateur de House of Cards, qui a lui-même participé à la campagne présidentielle du démocrate Howard Dean en 2004 (...)

Des redoutables simplifications

Il s’agit toutefois d’une représentation simplifiée à l’extrême du fonctionnement du pouvoir. Dans À la Maison Blanche, le cabinet du président Josiah Bartlet – son gouvernement – est quasiment absent. Le rôle du Congrès semble se résumer à faire obstruction aux décisions de la Maison Blanche, généralement pour des raisons politiciennes. La prise de décision est d’une simplicité confondante (...)

La palme de l’efficacité revient cependant à Francis « Frank » Underwood (Kevin Spacey) dans House of Cards. Le personnage met fin à une grève nationale des enseignants de plusieurs mois simplement en faisant chanter le lobbyiste chargé des négociations pour les syndicats. Il parvient, en une journée à peine, à convaincre le président démocrate d’annoncer un report de l’âge du départ à la retraite sans que cela provoque, semble-t-il, la moindre contestation de la part du Parti démocrate ou des syndicats. Rien ne semble pouvoir arrêter ce héros manipulateur et sans scrupules dans sa marche vers la fonction suprême.

Pour The Atlantic, cette « exagération totale » selon laquelle « quelques individus charismatiques pourraient bousculer le cours des choses et vaincre les contraintes politiques classiques » est le propre des séries de « politique-divertissement » (...)

Elle a bien évidemment son rôle dans le cadre d’une fiction : qui s’enthousiasmerait pour l’histoire d’un président au garde-à-vous devant les lobbys industriels et financiers ? Ces séries échouent cependant à rendre compte de la manière dont fonctionne vraiment le monde politique, avec son lot de compromis, de compromissions et d’échecs, en surestimant la capacité d’action d’une poignée d’individus et en sous-estimant les obstacles institutionnels et les rapports de forces sociaux.

L’enthousiasme qu’a provoqué l’arrivée au pouvoir de M. Obama en 2008 et la désillusion qui a suivi témoignent des limites de cette vision du pouvoir. Par son éloquence et sa forte personnalité, l’ancien président avait convaincu ses électeurs qu’il incarnait un possible changement ; il s’est révélé incapable de donner corps aux aspirations suscitées. L’exercice du pouvoir, la lourde défaite des démocrates aux élections de mi-mandat et les blocages parlementaires ont eu raison de son volontarisme. Quatre ans après son élection, il reconnaissait qu’on aurait tort de croire « que le président est quelqu’un de tout-puissant et qu’il peut tout accomplir [9] ». (...)

Antonio Gramsci notait dans ses Cahiers de prison que les romans populaires étaient aussi des objets politiques, dans la mesure où ils véhiculaient implicitement une certaine représentation du monde social. On pourrait en dire de même des séries politiques : leur diffusion massive et leur efficacité dramatique n’en font pas seulement des armes de divertissement massif, mais aussi de redoutables instruments idéologiques.