
Reflet de la société française, l’école en reproduit les clivages. A la fois inégalités sociales, mais aussi fracture ethnique. C’est le constat alarmant d’une politique éducative élitiste qui très tôt devient ségrégative. La réforme de la carte scolaire en illustre le parfait exemple.
Créée en 1963 pour gérer l’affectation des élèves, le dispositif de la carte scolaire s’est vu attribuer une seconde mission : garantir la diversité sociale à l’école. Loin d’être gagné. Présentée comme une mesure de justice sociale, la libéralisation de la carte scolaire mis en pratique depuis 2007 n’a pas eu les effets escomptés en termes de diversité sociale. Au contraire, et de façon perverse, elle a plutôt bénéficié aux élèves de milieux favorisés et aggravé les inégalités entre les différents collèges et lycées. Sans oublier d’ailleurs, en bout de course, que la violence scolaire, l’illettrisme ou les discriminations à l’école ont été accentués, dans les quartiers difficiles, par la faiblesse de cette mixité sociale. Dans un pays où la fracture sociale et la ghettoïsation progressent, des mesures d’urgence s’imposent donc pour une meilleure équité dans le système éducatif.
Décryptage de la réforme de la carte scolaire (...)
L’Inspection générale de l’éducation nationale (IGEN) résume ainsi la situation dans un document sur les « conséquences des mesures d’assouplissement de la carte scolaire après 2007 ».
« Si en 2007 le gouvernement a décidé, dans le cadre du droit existant, de favoriser un régime dérogatoire à une sectorisation scolaire qui était accusée de s’opposer à cet équilibre social, force est de constater que cette politique apparaît à l’analyse a posteriori comme n’ayant pas porté ses fruits au regard de l’équilibre social, et ayant même souvent eu l’effet inverse, tout en installant dans une partie de la population une défiance plus forte vis-à-vis de la sectorisation, défiance qui a atteint un point de non-retour. »
Le rapport conclut également que la réforme de 2007 a surtout profité aux milieux favorisés. Entre 2006 et 2011, les demandes de dérogation sont passées de 6 à 11%. Mais à ce jour, seuls 4% des élèves boursiers demandent à intégrer un collège hors de leur secteur. Or on sait que les classes populaires ont plus de mal à demander des dérogations. Et rien n’a été fait pour les y inciter ». Elles ne maîtrisent pas non plus les stratégies d’évitement scolaire. (...)
Une polarisation inquiétante s’esr renforcée aux deux extrémités de la hiérarchie des établissements : les plus convoités d’un côté et les plus ghettoïsés de l’autre. D’un côté des collèges désertés, où restent ceux qui n’ont pas pu partir ; de l’autre des établissements où s’entassent les meilleurs élèves, souvent issus de milieux aisés. (...)
Globalement, la majorité des établissements des ZEP ont pâti cruellement de la réforme. Dans ces établissements mal considérés, les équipes pédagogiques « expriment un double sentiment, d’abandon par les pouvoirs publics et d’impuissance devant l’évitement de leurs collèges. Cercle vicieux, « l’érosion massive des effectifs » dans les collèges les plus évités « conduit ensuite à des baisses des dotations aux établissements concernés de l’Etat et des conseils généraux, puisque le montant de celles-ci dépend du nombre d’élèves scolarisés ». Et il faut bien le dire, les stratégies de contournement sont basées sur des critères ethniques plus encore que sociaux. Dans ces conditions, perçus comme des « ghettos », certains établissements sont tout allègrement fuis. (...)
Faute d’obtenir l’établissement de leur choix, du fait de la limite des places disponibles, de plus en plus de familles se tournent vers le privé. En trois ans de réforme, les demandes ont grimpé de 9,5%, selon l’enquête du Snpden, principal syndicat des chefs d’établissements. Le rapport note ainsi un embourgeoisement du privé. (...)
l’assouplissement de la carte scolaire a réduit la mixité sociale à l’école. Il existe pourtant des solutions efficaces pour la renforcer. En ce sens, une régulation de la part des pouvoirs publics est indispensable. Chacun est libre de choisir son école, mais à l’image de la Grande-Bretagne, les établissements scolaires doivent respecter des quotas : un tiers de bons élèves, un tiers d’élèves moyens, et un tiers d’élèves en difficulté. Une politique assez efficace et qui a fait ses preuves. On peut aussi responsabiliser les chefs d’établissements, afin qu’ils se concertent et équilibrent leurs populations. (...)
il faut développer une vision systémique des problèmes et ne pas négliger les politiques structurelles. De fait, la faiblesse de la mixité sociale dans les établissements scolaires est indiscutablement liée à la ségrégation urbaine et en particulier la concentration des difficultés sociales dans les banlieues. Mener une vraie politique du logement social, y compris dans les beaux quartiers et les communes aisées, demeure une priorité sociale mais aussi scolaire dont il n’est pas possible de faire l’économie. La réussite scolaire a un impact économique et social positif, ne l’oublions jamais !
Alors que longtemps l’école a réduit les inégalités, aujourd’hui le système éducatif français les accroît. Alors même qu’on voit bien qu’il est en panne, le système éducatif, néanmoins, reste probablement le meilleur outil d’intégration et les pouvoirs publics seraient bien inspirés d’en prendre toute la mesure. (...)