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Libération
La vocation antifasciste du mouvement social
Ugo Palheta est l’auteur de la Possibilité du fascisme, publié aux éditions la Découverte en septembre 2018.
Article mis en ligne le 10 février 2020
dernière modification le 9 février 2020

La mobilisation qui a pour enjeu immédiat les retraites dessine un horizon démocratique plus large : elle combat à la fois l’autoritarisme incarné par Emmanuel Macron et l’extrême droite qui a tout intérêt à l’échec du mouvement.

Tribune. La lutte actuelle contre le gouvernement Macron-Philippe a pour objet central la défense et l’approfondissement des conquêtes sociales en matière de retraite, remises en cause pour l’ensemble des salarié·e·s, du public comme du privé. Si cette contre-réforme est imposée à un corps social qui n’en veut manifestement pas, elle aboutira immanquablement à une baisse des pensions. Celle-ci ouvrira à terme la voie à un système de retraite par capitalisation pour celles et ceux qui pourront se le permettre, ce qui accentuera immanquablement les inégalités et la pauvreté parmi les retraité·e·s. (...)

Lancée à la RATP et à la SNCF, la mobilisation a pris depuis la dimension d’un affrontement durable et généralisé contre l’ensemble des politiques néolibérales menées depuis plus de trois décennies. Comment s’en étonner, tant ces politiques sont directement à l’origine d’une insécurité sociale qui ne cesse de s’aggraver et d’une intensification de la souffrance au travail (particulièrement parmi les ouvriers·ères et les employé·e·s), d’une impossibilité croissante pour de nombreux travailleurs et travailleuses d’exercer dignement leurs métiers (personnels de santé, enseignant·e·s, pompiers·ères, avocat·e·s, enseignant·e·s-chercheurs·ses, etc.), d’une dégradation des services publics et ainsi d’une décomposition du tissu social ?
Illusoire ruissellement des richesses

Pour celles et ceux qui s’opposent au gouvernement actuel, il ne s’agit donc rien moins que de mettre un coup d’arrêt à la grande destruction néolibérale et à l’autoritarisme qui l’accompagne inévitablement, comme la nuée porte l’orage. (...)

le défaut croissant de consentement aux politiques menées n’a été suppléé que par le recours croissant à la force physique organisée, c’est-à-dire aux appareils de répression de l’Etat, garantissant et fragilisant tout à la fois la perpétuation des rapports d’exploitation et de domination. Ainsi l’autoritarisme néolibéral incarné par Emmanuel Macron apparaît-il à la fois comme un effet et un accélérateur de la crise politique. (...)

A l’évidence, la séquence présente de lutte a une visée sociale, mais elle a donc également une dimension démocratique. Or, c’est à ce double titre que se comprend la vocation antifasciste d’un combat qui a pour enjeu immédiat les retraites mais dessine l’horizon d’une alternative au néolibéralisme autoritaire. Il est d’autant plus crucial d’y insister que l’extrême droite cherche à utiliser le conflit pour se renforcer. Ainsi le RN sème-t-il la confusion en prétendant s’opposer à la contre-réforme tout en refusant toute légitimité aux militants syndicaux – qui sont pourtant en première ligne du mouvement social depuis le 5 décembre –, et ce en pleine continuité avec le fascisme historique. (...)

l’extrême droite, hier comme aujourd’hui, n’aime les classes populaires que passives et désespérées, s’en remettant aux chefs fascistes pour les guider, et non comme sujet politique luttant pour ses intérêts propres. Ainsi le RN a-t-il tout intérêt à une mobilisation défaite, dont le double produit – un macronisme exsangue d’un côté, une rage impuissante de l’autre – favoriserait assurément le vote pour l’extrême droite, aux municipales comme lors de la prochaine élection présidentielle.

Souligner la dimension antifasciste du mouvement actuel, c’est rappeler que le RN et les groupuscules avec lesquels il entretient des relations troubles – notamment les identitaires – n’y ont pas leur place, comme l’a justement rappelé le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez. L’agenda nationaliste, xénophobe et raciste qui est au centre du projet du RN ne peut qu’affaiblir la classe travailleuse en accentuant ses divisions et en pointant des ennemis imaginaires (migrants, musulmans, Rroms, etc.). (...)

Seule en effet la mobilisation populaire sous toutes ses formes peut enrayer la dynamique fasciste et faire reculer durablement l’extrême droite, en stoppant le cycle d’appauvrissement des classes populaires et la dérive autoritaire du pouvoir politique, tout en engageant enfin une lutte résolue contre le racisme structurel (islamophobie, discriminations systémiques, violences policières, traque des migrants, etc.). C’est aussi à ce prix que le « chapitre des bifurcations », selon l’expression de Blanqui, pourra à nouveau être « ouvert à l’espérance. »