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Le bien supérieur de l’enfant
Article mis en ligne le 22 novembre 2017

Ce n’est vraiment pas le genre de texte que je préfère écrire. Il y est question de vide juridique, de droit, de référé. C’est au plus près d’un cas rencontré. Il y est question du bien supérieur de l’enfant, bafoué. Il y est question de ce qui glisse, glisse, depuis des années et des années, on ne sait plus dater. Et on sait à peine agir. On est tétanisé. Écrire contre la tétanie.

C’est un petit mot qui s’adresse à toi, qui ne sais pas, comme moi hier je ne le savais pas, ce qu’est le SEMNA.

C’est un petit mot qui s’adresse à toi, qui sais ou penses comme moi que selon la Convention Internationale de Droits de l’Enfant, ratifiée par la France, un jeune, privé du soutien d’une autorité parentale, doit être protégé par les autorités publiques jusqu’à ce qu’il soit en mesure de subvenir à ses propres besoins.

Toi comme moi, nous savons que depuis 2013, pour que les pratiques soient harmonisées sur le territoire, les mineurs qui viennent d’autres pays que les États membres de l’Union européenne sont évalués et que l’évaluation est triple : sociale (à base d’interrogations, ou interrogatoires), physiologique (os et dents) et administrative (expertise des actes de naissance).

Toi et moi hélas nous savons que la plupart des jeunes ne sont pas reconnus mineurs. Qu’ils ne sont protégés en rien par les autorités publiques, dorment dehors ou chez les un.e.s et les autres.

Mais nous n’avions pas encore, hier, ni toi ni moi, entendu parler du SEMNA.

On est dans le département de Paris. C’est au plus près du cas observé qu’il faut dire et ce cas a été observé dans le département de Paris. Il faut dire alors même que la tâche de dire nous dépasse, que la rage et l’impuissance nous rongent. (...)

L’enfant, en novembre 2017, a dix-sept ans et il veut, comme tous les adolescents, étudier. Il passe les tests au CASNAV. L’enfant a un niveau troisième, il peut faire un CAP, juge le correcteur du CASNAV. Mais au CIO on écrit sur sa fiche d’évaluation qu’il vaut mieux pour lui qu’il aille en classe UP2A, classe pour allophones, bien qu’il soit francophone. On lui donne une raison qui tétanise sa réaction dans un premier temps : il sera avec d’autres migrants.

Au début, on ne comprend rien. On s’approche, et le dessin se précise. Peut-être, on veut être prudent, se déforme. On craint de généraliser ou de devenir, dans ce contexte de perte de droits des plus fragiles et de fabrique des peurs confondant exil et terrorisme, dans ce contexte où une manifestation à Paris contre les enchères d’esclaves en Libye, à l’hiver 2017, est nassée par la police, on craint un peu de devenir, en ce contexte, adepte d’une certaine théorie du complot en matière de traitement des jeunes étrangers. On reste prudent.

Peut-être si l’enfant au bon niveau de français et de maths est orienté en classe d’accueil pour non francophone, c’est que simplement il y a un « petit problème » dans le dossier, un problème de gribouillage de l’accueil du CIO ce jour-là, "va donc en classe UP2A", peut-être l’orienteur était-il sincère, de bonne foi, pour lui un migrant a des histoires de migrants et il peut les dire dans une langue qui n’est pas le français, un point c’est tout.

L’enfant a protesté, on a sali ses papiers, il est francophone et peut aller en CAP, il insiste, il se rend au rectorat, son éducateur référent qui n’est pas son tuteur lui explique bientôt que ça suffit, il va lasser tout le monde, qu’il se tienne tranquille, il n’y a pas de place en CAP, nulle part, qu’il accepte la classe UP2A.

Les soutiens invisibles que nous sommes avons un peu de mal à croire qu’il n’existe aucune place en CAP, nous demandons à être aidés, nous le sommes, en vain. Il semble qu’il n’y ait aucun CAP, ni 3ème pro, ni classe SEGPA, aucune scolarisation pour le gamin. Ni pour lui ni pour les autres, dans son cas.

Un angle de compréhension ? Il a dix sept ans, il n’existe aucune obligation de le scolariser, et on n’ouvrira aucune brèche dans le dispositif si efficace du non accueil des mineurs qui arrivent de loin ?

Ou bien : il n’est pas encore mineur. Il dépend de l’ASE mais il en dépend provisoirement.

De toute façon, l’enfance, c’est provisoire. Pour tout le monde, isolé ou pas, étranger ou pas, l’enfance est provisoire.

Du point de vue du droit, ce n’est pas nous qui déciderons ce qu’il faut entendre dans la phrase qui dit en gros que l’enfant « dépend de l’aide sociale à l’enfance provisoirement ». Il nous semble que c’est le verbe dépendre qui s’impose. Le nom enfance, aussi. Enfance pour l’instant. Pour l’instant, certes

Provisoirement, c’est une circonstance. Une circonstance qui appartient à l’enfance, où que ce soit, quoi qu’on en pense, universellement.

Mais voici, peut-être, autre chose : l’ASE du département de Paris "n’a pas vocation" à recevoir tous les gamins des Etats non membres de l’Union Européenne. Il seront, une fois reconnu mineurs, s’ils le sont, envoyés dans d’autres départements - ce qu’une scolarisation prématurée pourrait donc empêcher.

On attend, donc.
Attendre ronge.
Ronge l’enfant et les soutiens de l’enfant.

Alors : il y a d’autres manières, se dit-on. Cette tentation, contrôlée : tout mettre par terre, l’ASE et le rectorat, l’hôtel pourri et les éducateurs référents, la justice qui ne l’est pas, le droit qui glisse, tu es mon gamin qui m’est venu de loin et pour toi je ferai ce qu’on fait pour son gamin. On me ferme la porte, je passerai, toi sur le dos ou dans les bras, par la fenêtre. Je me poserai certes la question des institutions à faire bouger, je ferai tout pour les faire bouger, conscient.e de mon peu de forces et déterminé.e mais surtout, surtout, je ne lâcherai pas celui que j’ai sur le dos ou dans les bras, l’institution muraille je la contournerai, et trouverai, à force, le petit coin qu’ils ont oublié de fermer.

On résiste à la tentation déraisonnable de tout mettre par terre et on contourne, trouve les pistes, les tunnels, les faufilades ça s’appelle des jurisprudences, on trouve les idées, les absences de logique dans la logique labyrinthe qui ferme sur soi la pensée et chaque projet de vie. (...)