
Les nanotechnologies se développent sans contrôle. Un moteur caché de l’intérêt pour les nanos est le rêve d’une amélioration technologique de l’humain lui-même.
Les nanotechnologies ont maintenant largement dépassé le champ des récits de science-fiction. Après les vélociraptors de Jurassic Park, l’écrivain Michael Crichton campe, dans La Proie, un monde dominé par des nanorobots qui ont échappé au contrôle de leurs créateurs et menacent l’humanité. Or, des machines de quelques milliardièmes de mètres existent déjà quand le romancier et scientifique écrit son livre au début des années 2000 : « Les nanotechnologies s’intéressent principalement aujourd’hui à la composition des matériaux, mais leurs applications potentielles vont bien au-delà. Depuis plusieurs décennies, on s’interroge sur la création de machines capables de s’autofabriquer ; dès 1980, une publication de la Nasa passait en revue différentes méthodes pour y parvenir… » L’homme dépassé par la technologie… Délire d’un maître du technothriller ou réalité ?
Aujourd’hui, ces particules invisibles figurent sur la liste des ingrédients de milliers de produits commercialisés. L’OCDE s’inquiète de leur prolifération dans l’environnement : « Le nombre de produits contenant des nanomatériaux a augmenté à l’échelle mondiale de 521 % entre 2006 et 2011, pour atteindre plus de 1.317 produits. Le marché mondial des nanomatériaux est évalué à 11 millions de tonnes, pour une valeur marchande de 20 milliards d’euros en 2012. » Une quantité sans doute sous-estimée, puisque aucune réglementation globale n’oblige les firmes à recenser les quantités produites de ces infimes particules. (...)
Pourtant, comme l’a démontré Reporterre dans ses précédents articles [1], des toxicologues et institutions publiques alertent depuis près de vingt ans sur les dangers de ces nanoparticules. Elles sont « de redoutables toxiques qui provoquent des mutations génétiques, des cancers… Les nanotubes de carbone peuvent même provoquer des perturbations neuronales et des mésothéliomes, ces cancers de la plèvre qui jusqu’ici étaient essentiellement causés par l’amiante », affirme le journaliste Roger Lenglet dans son enquête Nanotoxiques (chez Actes Sud).
Sollicité à maintes reprises depuis deux mois, le ministère de l’Environnement ne nous a pas donné la moindre réponse. Pas même un signe de refus. Le silence.(...)
Le ministère de l’Environnement se tait, alors même que Mme Royal ne cesse de parler de « démocratie participative » (...)
Stopper le vieillissement et prolonger la vie indéfiniment
Reporterre s’est rendu à Grenoble, la nanopionnière européenne, pour comprendre. Qui rêve du « big bang » technologique et surtout quel idéal — au-delà du profit — guide cette course à l’innovation ? (...)
Les États-Unis mènent toujours le « nanobal ». (...)
« En 2002, ça paraissait fou, mais on parle aujourd’hui d’implantation dans le cerveau de nanostimulateurs avec impulsion de microprocesseurs électroniques qui viennent modifier le comportement, les humeurs… une alliance entre les bits et les neurones rendue possible grâce à la maîtrise de la plus petite échelle. »
Toute industrie qui entend « améliorer » le vivant
NBIC, ou l’alliance des technologies de pointe au nom du progrès. L’acronyme fait aujourd’hui partie du langage commun des scientifiques, politiques ou industriels, mais au nom de quoi ? De la sauvegarde de l’espèce, selon Roco et Bainbridge dans leur « bible » : « La science et la technologie vont de plus en plus dominer le monde alors que la population, l’exploitation des ressources et les conflits sociaux potentiels augmentent. De ce fait, le succès de ce secteur prioritaire est essentiel pour l’avenir de l’humanité. »
La journaliste Dorothée Benoit-Browaeys a plongé dans le « vertige de l’infiniment petit » et analysé au peigne fin les ambitions des deux hommes. « Avec le projet NBIC, on assiste à un effondrement, à un remplacement du réel par du “quantifiable”. Non limité aux phénomènes physiques, la prétention du modèle s’étend aux organismes vivants, aux cerveaux humains comme à leurs sociétés », analyse-t-elle dans son enquête « Les transhumains s’emparent des nanotechs ». Le monde entier devient une expérience, un laboratoire privatisable pour toute industrie qui entend « améliorer » le vivant. Avec les NBIC, elle peut tout créer ou modifier. (...)
Alors que le grand public ne s’est pas encore saisi du phénomène, la planète scientifique et industrielle est lancée dans la course effrénée à l’innovation. « Avec le foisonnement d’applications qui se profile, il serait dangereux de laisser les scientifiques, préoccupés de connaissance et de performance, se laisser déborder par les projets politiques transhumanistes. » Et Dorothée Benoit-Browaeys d’ajouter : « Pour piloter ces affaires, où sont les philosophes, sociologues, historiens, citoyens, capables de peser dans le bras de fer redoutable qui s’amorce ? »