Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Mediapart
Le cabinet de Brigitte Macron déclenche l’inspection d’un professeur de français
Article mis en ligne le 26 avril 2022

Un enseignant du Bas-Rhin a été inspecté en février dernier, après que le cabinet de la « première dame » a saisi de son « cas » le rectorat. Alors que Brigitte Macron rempile à l’Élysée, les questions ressurgissent sur les contours exacts de sa mission, financée sur fonds publics.

Comme tous les matins depuis plus de quinze ans, ce 23 février, Didier Jodin ouvre la porte de sa classe à ses élèves de troisième. Le professeur de français au collège Rembrandt-Bugatti de Molsheim (Bas-Rhin) fait l’appel, allume le rétroprojecteur et distribue les copies. Au programme : la correction du brevet blanc, avec un extrait de La Promesse de l’aube, le roman de Romain Gary. Une journée classique à une exception près : une inspectrice du ministère de l’éducation nationale se tient au fond de sa classe.

Une semaine plus tard, en lisant le rapport de la fonctionnaire très critique envers sa pédagogie, l’enseignant découvre, dans le préambule, que cette « visite conseil [s’est déroulée] suite à l’envoi au cabinet présidentiel de Brigitte Macron d’un message de parent d’élève ». Un coup de massue pour Didier Jodin.

« Qu’il y ait des parents mécontents et que le rectorat enquête, c’est bien normal », dit-il. Mais il ne comprend pas ce que la « première dame » vient faire dans cette histoire – son histoire – et se dit « victime d’un dysfonctionnement grave ». (...)

Pour mémoire, le statut de la conjointe (ou du conjoint) du président (ou de la présidente) de la République n’est codifié dans aucun texte. Seule une « Charte de transparence », publiée en août 2017, à l’initiative d’Emmanuel Macron, définit ses « missions » : « Elle répond aux sollicitations des Français », « soit par courriers, soit par des rencontres », peut-on lire notamment. Deux conseillers du chef de l’État sont « mis à sa disposition », ainsi qu’un secrétariat. En l’occurrence, le cabinet de la « première dame » a fait plus que répondre à la Française qui l’interpellait. (...)

Chez certain·es enseignant·es du collège Rembrandt-Bugatti de Molsheim, la méthode du cabinet de Brigitte Macron ne passe pas. « La réaction du rectorat est disproportionnée, insiste une collègue de Didier Jodin, qui suit de près le dossier. Ce n’est pas le rôle d’une première dame. Si elle voulait absolument réagir, elle aurait pu transmettre ce message au ministère. Là, au moins, on aurait suivi un schéma hiérarchique. Mme Macron n’est ni élue ni ministre ! »

Questionné par Mediapart, le cabinet de Brigitte Macron répond qu’il s’agit d’un « procédé habituel », que « tous les courriers sont traités de la même manière ». Surtout, à ses yeux, le courrier adressé au rectorat « ne demande pas [à ce dernier] d’engager une procédure »… Des missives venues de l’Élysée peuvent-elles être lues autrement, quand on sait que les recteurs et rectrices sont nommé·es sur décret du président de la République en conseil des ministres ?
Une « visite conseil »

De son côté, le service communication du ministère de l’éducation insiste auprès de Mediapart sur le fait que l’alerte a débouché sur une simple « visite conseil », sans sanction à la clef. (...)

Pour sa part, le secrétaire général du Syndicat unitaire de l’inspection pédagogique (SUI-FSU), Éric Nicollet, avance qu’en mentionnant Brigitte Macron dans son rapport, « l’inspectrice a peut-être souhaité souligner le caractère surprenant de la démarche ». Et de préciser qu’il n’a jamais, jusqu’ici, été confronté à une telle situation. Sollicitée, l’inspectrice n’a pas souhaité répondre à nos questions.

« Parce que ce message a été transmis directement au rectorat par le cabinet de Brigitte Macron, il a été doté d’un caractère sacré », s’indigne encore Didier Jodin. Alors qu’il a adressé récemment un courrier au rectorat, dans lequel il évoque « une volonté de nuire chez une mère d’élève » qui « aurait pu être examinée de façon saine et raisonnée », il attend toujours une réponse. Et cette « violence administrative », écrit-il, « a des conséquences sur [sa] santé physique ».

Si une rencontre avec le recteur doit avoir lieu bientôt, assure l’académie de Strasbourg à Mediapart, l’inspectrice préalablement missionnée prévoit d’effectuer une nouvelle visite dans la classe de l’enseignant, au mois de mai. (...)