Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Article 11
Le cauchemar éveillé du peuple portugais
« Nous avons fait une révolution mais, au lieu d’exploser, nous avons implosé. Et nous sommes, toujours, demeurés clandestins. » Mário Cesariny (1923-2006)
Article mis en ligne le 18 mai 2012
dernière modification le 16 mai 2012

« Dans mon pays, les gens sont totalement disposés à se sacrifier et à travailler plus afin que le programme d’ajustement soit un succès ». Ainsi parla Vitor Gaspar, ministre des finances du Portugal, en avril dernier. Une sortie inique mais qui avait le mérite de la franchise : dans un pays socialement ravagé par les politiques de rigueur, les « sacrifices » se multiplient sans réelle contestation populaire. Jusqu’ici.

(...)Le 18 avril 2012, une troupe de mercenaires de l’État portugais armés jusqu’aux dents bouclait un vieux quartier populaire du centre de Porto. L’objectif était d’investir une école abandonnée, occupée depuis quelques mois par des jeunes et des habitants. Et de déloger ces derniers. Le lieu, laissé à l’abandon par les autorités, avait été transformé en centre social aux activités multiples, allant de l’enseignement à des activités culturelles et sportives. Une vie associative y avait remplacé le no future quotidien et chassé l’activité destructrice de l’économie de la drogue. Pour l’ordre capitaliste, c’en est était trop, d’autant que cet enthousiasme se réclamait des principes de l’autogestion, mélangeant de jeunes activistes avec des jeunes et des moins jeunes habitants du quartier. (...)

Le même jour, à quelques milliers de kilomètres de l’école do Alto da Fontinha, le très propre sur lui ministre des finances du gouvernement portugais, Monsieur Vitor Gaspar, se trouvait à Washington DC. Devant les chefs du FMI, cet individu jouait un numéro rampant de pénitence : « Dans mon pays, les gens sont totalement disposés à se sacrifier et à travailler plus afin que le programme d’ajustement soit un succès, du moment que l’effort est réparti de façon juste » (...)

Ces deux événements qui se sont télescopés par hasard dans le spectacle médiatique symbolisent parfaitement, chacun à leur manière, les deux tendances qui traversent la société portugaise en ces temps de crise

Il paraît de plus en plus évident que le mouvement de la démocratie de notre époque se réduit à l’alternance entre deux courants politiques siamois au sommet de l’État, soumis à une même logique économique. Au Portugal aussi, le fait électoral n’est plus un choix mais un rejet. (...)

Un train de mesures d’austérité infernal, qui semble s’allonger à chaque jour qui passe… (...)

On imagine aisément les conséquences sociales d’une telle offensive capitaliste dans une des sociétés les plus pauvres d’Europe occidentale, où le niveau de vie était déjà bas et les salaires pas folichons (presque la moitié de ceux de l’Espagne). (...)

Le Portugal est le pays où les mesures d’austérité pèsent le plus sur les plus pauvres. Plus qu’en Grèce et loin devant l’Estonie ou l’Irlande6. Dans le même temps, la concentration de la richesse s’accélère, un processus commencé dans les années 1980. (...)

Les premières victimes de la croissance rapide des inégalités et de l’appauvrissement sont les vieux retraités ou pensionnés, les femmes et les jeunes travailleurs, diplômés ou non (...)

Pendant ce temps, le secteur bancaire – qui constitue désormais le noyau de la classe capitaliste portugaise – impliqué, comme partout ailleurs, dans la spéculation financière et immobilière avec son cortège de corruptions, continue à être renfloué par l’Etat. « Assaini », disent-ils… (...)

La moyenne des pensions de retraite étant de 373 euros, beaucoup de retraités continuent de travailler pour survivre. Ceux qui décrochent sont victimes d’une sorte d’euthanasie sociale qui ne dit pas son nom. Abandonnés, isolés, sans moyen pour se déplacer, vivant dans des conditions souvent insalubres, nombreux sont ceux qui disparaissent. (...)

Comme l’Irlande, la Grèce, l’Espagne et bientôt d’autres sociétés européennes, le Portugal paye les pots cassés de la politique économique dominante, dont l’idéologie sous-jacente est celle du capitalisme du « laisser-faire ».
(...)

Faut-il instaurer des formes d’esclavage ou de travail obligatoire pour que les capitalistes trouvent leur compte ? (...)

Ici se pose une question qui en taraude plus d’un : comment et pourquoi une société ainsi attaquée, avec une violence si mortifère, se résigne-t-elle à ce point ? Comment se laisse-t-elle mourir sans résistance, sans réaction ? Miguel de Unamuno écrivait, « Le Portugal est un peuple de suicides, peut-être un peuple suicidaire. Pour lui la vie n’a pas de sens transcendantal. Certes, il désire vivre, mais pour quoi faire ? Plutôt ne pas vivre. ». Un siècle plus tard, malgré les transformations de la société, sa réflexion est toujours d’actualité. (...)

À Porto, Lisbonne ou Setubal, des centres sociaux, lieux de débats et d’activités se sont ouverts. Les anciennes traditions d’association, d’entraide et de vie communautaire ont refait surface. Et les activités collectives autogérées, les lieux de vie et d’échange ainsi que les jardins partagés se multiplient. (...)

Au sein de cette jeunesse précaire, le fort courant d’émigration crée des contacts et des liens. Avec Barcelone, Amsterdam, Zurich, Londres. Un milieu éclaté cherche à l’unisson une façon de vivre hors de l’atmosphère mortifère de la société, et devient un pôle d’attraction pour la jeunesse révoltée. L’école occupée d’Alto da Fontinha à Porto en est devenu le symbole. (...)

les surprises viennent souvent de là où on ne les attendait plus. Pour preuve, une déclaration du jeune centenaire et réalisateur Manuel de Oliveira, annonçant sa décision de rejoindre - après un long intermezzo plutôt conservateur - le camp de la subversion, « L’argent a remplacé toutes les valeurs. Je pense qu’on devrait le supprimer, ainsi que les banques. Avez-vous remarqué que lorsque les choses sont gratuites, les gens ne prennent que ce dont ils ont besoin ? » (...)

Lorsque, le 25 avril 2012, une manifestation de deux mille jeunes et moins jeunes, a de nouveau investi et occupé les lieux de l’école Alto da Fontinha, à Porto, quelque chose de nouveau et d’important s’est produit dans la société portugaise. Pour la première fois depuis des années, une manifestation d’individus consciemment concernés a rompu avec la passivité et la résignation, a rejeté les limites du légalisme, du possible et du raisonnable, pour affirmer un désir et revendiquer une nécessité : celle d’agir directement et de façon autonome pour construire un projet, pour rompre avec le pessimisme et la morbidité, pour affirmer un autre possible (...)

Ebuzzing