
Avec l’avènement du Comité social et économique (CSE), les institutions représentatives du personnel (IRP) françaises sont à l’aube d’un bouleversement sans précédent. Comment cette réforme menée par le gouvernement d’Emmanuel Macron est-elle perçue dans les autres pays européens ? Telle était la question posée le 19 janvier dernier par l’Association française du droit du travail, à Isabelle Schömann, spécialiste de droit comparé à l’Institut syndical européen. Entretien.
Quel est le regard de l’Europe sur la réforme française des IRP ?
Cette réforme n’a pas son équivalent en Europe pour le moment. Elle a étonné dans certains états membres de l’Union européenne, comme la Belgique. C’est à dire, là où existe encore une séparation entre le comité d’entreprise (CE) et le comité sur l’hygiène, la santé et les conditions de travail (CHSCT). Elle interroge même en Allemagne, où le CE a déjà une commission Santé – Sécurité, car celle-ci a des compétences et des représentants particuliers pour les entreprises de plus de 19 salariés. La question que tout le monde se pose est la suivante : pourquoi procéder à une fusion, alors que les trois IRP françaises avaient des compétences différentes ?
L’étude d’impact qui a précédé la loi du 15 septembre 2017 et la réforme répond-elle à cette question ?
Cette étude est très succincte et ne s’appuie pas sur des références précises. Au lieu de réaliser un bilan et d’établir un diagnostic, elle se contente de noter que le système CE – CHSCT – DP est complexe et sujet à une ossification et à un fonctionnement cloisonné. Elle relève également qu’il existe un mélange des capacités et des sujets possibles entre les trois IRP et que cela crée une « insécurité juridique ». Mais cette dernière explication est toujours invoquée par les entreprises et ne veut pas dire grand chose. A l’Institut syndical européen (European trade union institute, Bruxelles), nous estimons que cette étude est partielle et orientée. Nous lui reprochons également de laisser de côté les problèmes de santé – sécurité. Seules sont évoquées la pénibilité et les formalités de détachement des travailleurs.
A votre avis, quel est le but de cette réforme ?
L’objectif présenté est de rationaliser et de simplifier le dialogue social. Il s’agit de fusionner les IRP et de réduire le nombre d’élus pour concentrer le dialogue social dans une seule instance, en espérant être plus efficace. Sur ce point, la question se pose de savoir si le droit communautaire et le droit du travail de certains pays membres ne pourraient pas se faire influencer par cette initiative de la France. (...)
regrouper les missions concernant la santé et la sécurité des salariés sur une commission sans moyens légaux est incompréhensible. La diversité antérieure des IRP permettait leur complémentarité. A cet égard, si le système de conseil d’entreprise avec une commission spécialisée sur ce thème existe en Allemagne et ailleurs en Europe, il ne faut pas oublier que celle-ci est toujours dotée de moyens spécifiques. Alors qu’en France, les ordonnances vont aboutir à une réduction de compétences et de moyens d’action. L’expression collective des salariés en matière de prévention et de sécurité au travail va également en pâtir. Dans certains cas, l’employeur pourrait être le seul juge des moyens appropriés pour améliorer la sécurité au travail. Dans d’autres, ces moyens seront négociables… contre des concessions dans d’autres domaines. De manière générale, cette évolution ne peut pas être analysée comme une bonne nouvelle pour le débat démocratique dans les entreprises. (...)