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Attac France
Le débat sur l’école : le camp progressiste doit se battre sur deux fronts
/Les Possibles
Article mis en ligne le 17 octobre 2016
dernière modification le 13 octobre 2016

Il est sans doute inutile de souligner l’importance que joue l’école dans le débat social et politique. Les contenus des discours des candidats à l’élection présidentielle suffiraient à souligner l’importance de l’enjeu, sans compter les innombrables articles de presse et publications plus ou moins polémiques qui paraissent, surtout en période de rentrée scolaire. Fort heureusement, il existe une abondante production scientifique sur les questions scolaires dans laquelle il est possible de puiser pour tenter d’y voir clair.

Sommaire

 Les forces politiques de droite et du centre portent deux discours assez différents
 Les raisons d’un combat douteux à gauche (...)

Le constat des difficultés de l’école est assez peu discutable : situation d’échec d’un nombre important d’élèves dès l’école primaire, creusement des inégalités au collège, tri social explicite à partir du lycée où l’enseignement professionnel et, dans une certaine mesure l’enseignement technologique, sont utilisés comme voie de relégation pour les élèves en difficulté [1]. Au niveau de l’enseignement supérieur, les échecs massifs marquent les premiers cycles universitaires, tandis que la diversification des voies de formation s’accompagne d’une importante offre privée, notamment dans le secteur des écoles de management, mais aussi avec le développement des « écuries » accompagnant les étudiants en médecine ou en droit.

S’agissant de l’école et du collège, les enquêtes du ministère de l’Éducation nationale (DEPP) et celle de l’OCDE (PISA) mettent en évidence des difficultés très sérieuses du système éducatif. (...)

Les forces politiques de droite et du centre portent deux discours assez différents

D’une part, un discours conservateur centré sur la restauration de l’ordre et de l’autorité, la nostalgie d’une école du passé (exemple classique d’illusion rétrospective) où les maîtres étaient respectés et où les élèves apprenaient les fables de la Fontaine, le roman national et les tables de multiplication. (...)

Ce discours conservateur que l’on trouve dans certaines publications de droite ou d’extrême droite, dans un syndicat comme le SNALC, dans le collectif Racine impulsé par le Front national, s’articule volontiers avec des orientations xénophobes (l’école serait victime elle aussi du « grand remplacement » et de l’invasion des immigrés imposant une approche communautariste, etc.). L’exaltation du mérite et de l’excellence sert ici à justifier une politique scolaire malthusienne et élitiste et privilégie un entre-soi social qui alimente des stratégies familiales de choix des écoles et du logement. Dans ce contexte, la présence d’une offre de formation privée renforce encore la ségrégation sociale et ethnique.

D’autre part, il existe un discours libéral. Ce discours met l’accent sur une transformation radicale de la coordination du système éducatif. Constatant l’échec du pilotage hiérarchique (le fameux thème de l’impossibilité de réformer l’école), les tenants de cette approche libérale proposent de mettre en place une gestion par le marché [3] (...)

Tout un discours porté par les mouvements pédagogiques, par un certain nombre d’intellectuels de gauche, de militants syndicalistes, de responsables du système éducatif, converge avec le discours libéral sur le plan économique. (...)

Une autre initiative très révélatrice est la publication dans le quotidien Libération du 15 février 2015 d’un appel intitulé « Refondons l’école ». On y trouve la traditionnelle remise en cause de la « transmission descendante du savoir ». L’école doit être le lieu d’une « communication apaisée », etc. Parmi les signataires de ce texte on trouve des intellectuels progressistes : E. Fassin, Ph. Meirieu, F. Dubet, C. Lelièvre, Ph. Frémeaux (d’Alternatives économiques), mais aussi des responsables syndicaux et associatifs : G. Jean (vice-présidente de l’Institut de recherche de la FSU), S. David (ancien président de l’Association des professeurs de sciences économiques et sociales). La Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) signe en tant que telle, de même que le Cercle de recherches et d’action pédagogique (éditeur des Cahiers pédagogiques). Mais on trouve aussi la fille de P. Rahbi (qui a développé des écoles privées hors contrat dans le cadre du mouvement Colibri) et A. Verdiani (présidente du Printemps de l’éducation). Ces deux dernières signataires s’inscrivent clairement dans une logique marchande, puisqu’il s’agit de « changer l’école » par la création d’un réseau concurrentiel d’écoles privées hors contrat. Le mouvement du Printemps de l’éducation se propose d’éduquer les élèves à la joie et à une véritable spiritualité, mais surtout A. Verdiani explique dans une interview : « je n’ai jamais avoué cela, mais je pense en réalité que l’école n’est pas nécessaire ». Et elle insiste sur le fait que le plus important, c’est que chacun puisse « choisir son école ». La boucle est bouclée : on peut en appeler à l’émancipation des élèves, à leur épanouissement, le cœur du projet, c’est la diversification de l’offre éducative, dans un cadre qui sera nécessairement concurrentiel.
Les raisons d’un combat douteux à gauche

Comment donc, des individus et des organisations, clairement situés à gauche de l’échiquier politique, défenseurs de l’égalité devant l’éducation et de la laïcité, en viennent-ils à faire front commun avec des groupes contestables et à engager à leur côté un combat douteux visant à la remise en cause du système éducatif public et républicain ?

L’explication se trouve dans l’histoire du système éducatif et des débats qui l’ont traversé. (...)

les dominants se sont montrés capables de changer leurs pratiques et leurs discours, sans rien abandonner de leurs objectifs. Ils ont donc intégré la critique « artiste » de l’école et se sont approprié toute une partie des thèses de l’éducation nouvelle en les dépouillant de leurs aspects subversifs et en les mettant au service d’un projet d’adaptation de l’école au capitalisme mondialisé (salariés mobiles et adaptables, entreprises apprenantes, mise en avant des compétences plutôt que des qualifications, ringardisation des syndicats au profit d’un management « cool » des ressources humaines, etc.). Le « nouvel esprit du capitalisme » passe, à l’école, par une « modernisation pédagogique » qui s’attaque aux savoirs et à la revendication d’égalité d’accès aux savoirs.

L’action militante en faveur d’une éducation nouvelle est ainsi relayée, à partir du milieu des années 1960 et plus encore après 1968, par un part croissante des responsables du système éducatif qui entendent réformer les contenus d’enseignement et les méthodes pédagogiques pour s’adapter à la massification progressive de l’enseignement secondaire. Les idées des mouvements d’éducation nouvelle vont dès lors structurer la formation des enseignants : certains inspecteurs pourchassent et condamnent le cours magistral ; on ne jure plus que par les méthodes actives, l’innovation, le travail autonome, etc [9].

Dès lors, le débat qui se structure oppose les tenants de l’approche conservatrice (qui dénoncent toutes les réformes au nom de la tradition) et les défenseurs de l’innovation pédagogique qui détiennent le pouvoir au sein de l’institution éducative et de la formation des enseignants. Ces derniers bénéficient de l’appui des militants pédagogiques et d’un certain nombre de syndicats (SGEN, UNSA).

Face à ce débat, dont le caractère caricatural est accentué par l’opposition entre « pédagogues » et « républicains », aucune autre position ne semble pouvoir se faire entendre. (...)

Pourtant, de nombreux travaux montrent que la mise en œuvre du paradigme pédagogique actuellement dominant contribue à accentuer les inégalités au détriment des élèves issus des catégories sociales les moins dotées en capital culturel. Le modèle pédagogique dominant a recours très massivement à une pédagogie invisible qui résulte d’une volonté de « déscolariser » l’école. Sous prétexte de donner du sens aux apprentissages (ce qui est évidemment indispensable) on met en place des « projets », des activités qui se veulent ludiques, qui sont en rupture avec la forme scolaire. On somme les enseignants de cesser de transmettre et de se percevoir plutôt comme des « animateurs », des « médiateurs » ou des « facilitateurs ». On préconise le concret (puisqu’on part de l’idée que la plupart des élèves sont rétifs à l’abstraction), etc. Et on pense qu’à l’occasion de ces activités qui permettent « d’ouvrir l’école sur la vie », les élèves vont réaliser, de façon largement informelle et donc implicite, les apprentissages visés par l’école. En réalité, cette doxa de l’école [10] produit des malentendus des apprentissages [11] : certains élèves perçoivent les enjeux cognitifs des activités proposées, d’autres pas du tout. (...)

si on veut lutter contre les inégalités sociales d’apprentissage, il nous semble qu’il faut se battre sur deux fronts :

contre les conservateurs qui veulent restreindre à une minorité d’élèves l’accès aux savoirs conceptuels ;
contre les « modernisateurs » qui, sous prétexte de démocratisation, d’individualisation des apprentissages et d’innovations pédagogiques, contribuent involontairement à creuser les inégalités d’apprentissage.

Un nouveau paradigme pédagogique s’impose donc [12] qui est notamment défendu par le Groupe de recherche sur la démocratisation scolaire (GRDS). Il suppose de se fixer comme objectif la réussite de tous les élèves dans les apprentissages proposés dans une école obligatoire, gratuite et laïque [13].

Il s’agit donc bien d’assurer à tous les élèves la maîtrise d’une culture commune relevant à la fois des humanités, des sciences de la nature, des sciences sociales, des technologies, des pratiques artistiques, de l’éducation physique. Pour atteindre cette réussite de tous les élèves, il faut mettre en place des démarches pédagogiques qui reposent sur des pédagogies explicites (ce qui ne veut pas dire magistrales), sur un cadrage fort des activités d’apprentissage, sur une classification forte des savoirs (qui distingue clairement les savoirs communs et les savoirs scolaires reposant sur des disciplines savantes de référence). Il faut donc se fixer des objectifs cognitifs ambitieux, seuls à mêmes de permettre aux élèves de goûter la « saveur des savoirs » [14]. Il faut pour cela faire éprouver par les élèves le caractère émancipateur des savoirs, de la rigueur, de l’exigence intellectuelle. (...)