
Seulement, la compassion n’œuvre en rien à l’émancipation des peuples autochtones.
Ce 28 novembre sort la deuxième saison de Struggle Street, une série documentaire tournée dans les banlieues délaissées de Sydney Ouest qui avait suscité de vives critiques, tant du côté des politiques que d’une partie des personnes issues des communautés portées à l’écran.
Stephen Bali, le maire de Blacktown, une des villes dont la misère avait été filmée dans la première saison, avait qualifié la série de « porno sur la pauvreté ». Il dénonçait alors le parti pris biaisé de SBS et KEO Films Australia, les sociétés de diffusion et de production à l’origine du projet, de n’allumer leurs caméras que devant la violence et la détresse, quitte à forcer certaines scènes.
Un récit unique et misérabiliste
Au-delà de la série, c’est la question de la représentation même qui est faite de ces communautés à l’écran qui se pose. Et notamment celle des Aborigènes.
Chelsea Bond, maître de conférence à l’Université de Queensland et membre d’une organisation pour le développement de la communauté indigène d’Inala Wangarra, écrivait ainsi, peu après la sortie de la première saison :
« Mon combat avec Struggle Street en tant que programme télévisé est qu’il représente une histoire unidimensionnelle de la pauvreté, qui met en valeur les agents individuels, au-dessus des facteurs structurels qui créent et enracinent les inégalités de revenus. Alors qu’elle essaye d’offrir un portrait attentionné et compatissant de ses “personnages”, cette narration est loin d’être émancipatrice. »
Aujourd’hui, elle réitère, et dépasse le cadre étroit dans lequel Struggle Street inscrivait la vie des « blackfellas », ces Aborigènes d’Australie dont les luttes se sont inspirées du mouvement Black Lives Matter.
Pour les populations concernées, le risque n’est pas tant d’être discriminées, puisqu’elles le sont déjà. Le problème est l’« appétit national pour le désespoir indigène », à cause duquel les Aborigènes n’apparaissent sur un écran de télévision que pour être montrés dans des situations de désolation. (...)
Un droit à l’autodétermination « reconnu », mais sans effet
Or ces chroniques du désespoir n’ont jusque-là pas contribué à améliorer la situation des Aborigènes, en dépit de toutes les commissions d’enquête et les rapports locaux, nationaux ou royaux.
Cette confiscation d’une parole et d’une histoire autres que celles du misérabilisme, qui induit un paternalisme forcené —en 2006, le ministre de la santé Tony Abbott réclamait un « nouveau paternalisme » pour régler la situation des Indigènes—, s’inscrit dans une longue histoire politique où les Aborigènes ont constamment été tenus à l’écart des décisions les concernant.
En 2007, l’ONU avait adopté la Déclaration des droits des peuples autochtones, en dépit du vote contre de quatre pays : les États-Unis, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, où se trouve évidemment la majorité des communautés autochtones.
Ce n’est que deux ans plus tard que l’Australie a reconnu cette déclaration, qui affirme notamment que « les peuples autochtones ont le droit à l’autodétermination et qu’en vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et recherchent librement leur développement économique, social et culturel ».
Pour autant, les Aborigènes luttent toujours pour une reconnaissance constitutionnelle et le « contrôle de leur destinée », alors qu’ils demeurent, proportionnellement, « les gens les plus incarcérés sur la planète », comme le rappelait la Déclaration Uluru en mai dernier. (...)
Contre ces multiples formes de dépossessions, les autochtones s’organisent pour créer leurs propres espaces de parole, que ce soit à la radio, en film ou grâce à des documentaires. En 2003, le Wapikoni mobile naissait au Canada, se présentant comme le « studio ambulant de formation et de création audiovisuelle des premières nations ». Ces initiatives demeurent cependant marginales, et appellent un traitement collectif des questions relatives aux communautés autochtones.