
Si vous suivez un peu les débats sur de grands médias, vous n’y avez pas échappé. Ainsi, sur France Inter, samedi dernier 4 janvier, au début de l’émission « on n’arrête pas l’éco », Christian Chavagneux (Alternatives économiques) était opposé à Emmanuel Lechypre, de BFM-Business, un journaliste bien néolibéral.
Ce dernier a attaqué bille en tête avec un argument supposé faire mouche : « j’ai regardé les classements internationaux des systèmes de retraites [incidente de Jean Gadrey : par la suite, il n’en cite qu’un, qui s’appelle Mercer, il n’y en a pas d’autre]. Il y a plusieurs critères qui sont 1) la générosité financière, 2) la viabilité financière, et 3) la confiance que les gens éprouvent, lisibilité, simplicité, etc. Or si la France est très bien classée selon le premier critère, elle l’est très mal, autour de la trentième position [sur 37], pour les deux autres. Or les pays globalement mieux classés que la France ont tous plus de capitalisation qu’en France ». On comprend le message.
Si vous suivez un peu les débats sur de grands médias, vous n’y avez pas échappé. Ainsi, sur France Inter, samedi dernier 4 janvier, au début de l’émission « on n’arrête pas l’éco », Christian Chavagneux (Alternatives économiques) était opposé à Emmanuel Lechypre, de BFM-Business, un journaliste bien néolibéral.
Ce dernier a attaqué bille en tête avec un argument supposé faire mouche : « j’ai regardé les classements internationaux des systèmes de retraites [incidente de Jean Gadrey : par la suite, il n’en cite qu’un, qui s’appelle Mercer, il n’y en a pas d’autre]. Il y a plusieurs critères qui sont 1) la générosité financière, 2) la viabilité financière, et 3) la confiance que les gens éprouvent, lisibilité, simplicité, etc. Or si la France est très bien classée selon le premier critère, elle l’est très mal, autour de la trentième position [sur 37], pour les deux autres. Or les pays globalement mieux classés que la France ont tous plus de capitalisation qu’en France ». On comprend le message. (...)
MERCER ET SES CONSULTANTS DE MELBOURNE, AU SERVICE DE LA FINANCE ET DES ASSUREURS
Les journalistes qui ont repris tels quels les classements de cette étude ne l’ont probablement pas consultée dans sa version d’origine en anglais et se sont contentés d’un résumé en français diffusé fin octobre 2019, un moment béni pour un gouvernement se préparant à lancer les opérations sur son projet de réforme. Le résumé en français a été produit par la branche parisienne du cabinet international Mercer, qui se présente ainsi : « Leader mondial du conseil en ressources humaines, Mercer conseille et accompagne les entreprises en matière de santé et prévoyance, gestion des talents et de retraite et d’investissements. Opérant dans plus 130 pays, Mercer compte plus de 25 000 salariés répartis dans 44 pays ».
Première conclusion : ceux qui diffusent mondialement ces idées et classements sont directement liés aux intérêts des grandes entreprises, leurs clients. De la même façon que, dans le passé, les grands cabinets mondiaux de conseils comptables ont joué un rôle majeur dans la diffusion du management fondé sur « la valeur pour l’actionnaire », de même, ici, Mercer est l’un des chevaux de Troie de la capitalisation. Mais je ne l’ai pas encore prouvé. C’est pour la suite.
Le rapport lui-même n’est pas l’œuvre du cabinet Mercer mais d’une équipe de consultants-chercheurs de Melbourne financés par Mercer, le Monash Centre for Financial Studies, spécialisé « dans les questions de recherche présentant un intérêt pratique pour l’industrie financière … des questions en rapport avec l’industrie de la gestion d’actifs, dont l’épargne-retraite ». À nouveau, cela semble clair.
Enfin, le principal coordinateur et rédacteur du rapport, David Knox, est à la fois un ancien du cabinet PricewaterhouseCoopers, professeur d’études actuarielles, consultant auprès d’organismes financiers, senior consultant de Mercer Australie, spécialisé dans le système australien dit de « superannuation » (c’est de la capitalisation, voir ce lien) et grand avocat de ce système actuellement contesté en Australie.
DERRIÈRE MERCER, LES PLUS GRANDS FONDS DE PENSION, DONT BLACKROCK
Mercer est en réalité une filiale détenue à 100 % par une plus grande firme appartenant au monde de l’assurance, des fonds de pension et des activités de conseil correspondantes : Marsh & McLennan Companies. Ses caractéristiques et ses actionnaires sont présentés en détail sur le site zone bourse. Ses deux plus gros actionnaires sont The Capital Group et Vanguard, mais on y trouve aussi l’incontournable BlackRock. Pour information, The Capital Group est l’un des trois plus grands fonds de pension du monde, avec Vanguard !
Les choses commencent à devenir de plus en plus en plus limpides, mais il vous reste peut-être un doute : d’accord, le classement Mercer des systèmes de retraites est effectué et mondialement diffusé par des gens très liés au monde de la capitalisation, des assureurs et des fonds de pension, mais après tout, ça ne prouve pas que ce classement soit fautif ou biaisé. Il nous faut donc entrer dans la cuisine, et dans le cas présent dans l’arrière-cuisine brumeuse de la confection de ces indicateurs, ce qu’aucun des commentateurs cités au début de ce billet n’a pris le temps de faire, une excuse possible étant que les choses sont reléguées dans les annexes d’un gros rapport en anglais.
LE CLASSEMENT (...)
un indicateur devrait figurer en première place : le taux de pauvreté des retraités, ou des séniors. Il est absent, bien que des données de l’OCDE existent. C’est donc une absence délibérée. Pourquoi ? Élémentaire mon cher Watson. Ces gens-là ont choisi d’exclure le taux de pauvreté pour une raison évidente : pour un même taux de remplacement, par exemple 70 %, les pays où il y a beaucoup de salariés pauvres vont avoir beaucoup de retraités (très) pauvres. Le taux de remplacement masque complètement la pauvreté dans les situations où les pauvres salariés deviennent des pauvres retraités.
Or, et là est la manipulation délibérée, parmi les pays fétiches de Mercer, dont l’Australie où ces indicateurs sont produits et très commentés, beaucoup ont de très hauts taux de pauvreté des plus de 65 ans. Introduire cet indicateur de pauvreté dans le classement avec un poids suffisant aurait relégué ces pays bien plus loin, voire très loin pour l’Australie ou même la Suède et plusieurs pays où la capitalisation est florissante, États-Unis en tête et plus généralement les pays du modèle dit anglo-saxon.