
Le mouvement social des « gilets jaunes » a rappelé aux Français à quel point, pour une large partie de la population française, la voiture est un symbole d’autonomie et un outil important pour le confort de vie.
Les espaces périphériques, tout comme les banlieues des grandes villes, représentent des lieux où le véhicule est précieux pour pallier les carences des transports publics.
Toutefois, disposer d’une voiture personnelle demande des frais de maintenance non négligeables, et nombreux sont celles et ceux qui cherchent à les réduire au maximum. (...)
Au cœur de ma recherche sur les pratiques de travail dans un contexte de précarité, je me suis engagé sur un terrain de dix-huit mois entre 2010 et 2011, dans une commune de la Seine-Saint-Denis afin d’étudier la figure du mécanicien de rue.
Jusqu’à « dix fois moins cher »
D’après un reportage consacré à cette activité en 2018, ces réparations « à la sauvette » sont jusqu’à « dix fois moins chères et deux fois plus rapides » que dans un garage classique.
Le mécanicien de rue désigne les individus qui se proposent pour réparer de véhicules, travaillant sans licence, avec un outillage limité et qui s’installent sans autorisation dans des espaces publics ou privés, en comptant sur la bienveillance des riverains. (...)
Ces mécaniciens, privés d’un atelier, travaillent en plein air et selon les conventions des activités de l’économie informelle. Leur rétribution reçue en espèces n’est pas taxée, alors que leur activité est en permanence exposée à l’incertitude et aux imprévus.
« C’est la débrouille… » (...)
Leur présence est fréquente dans les lieux marqués par le chômage et la précarité, et c’est pourquoi on peut facilement les rencontrer en sillonnant les rues de banlieue.
Dans ces quartiers, recourir à leurs services peut devenir une solution pour celui qui est à la recherche d’une réparation à moindre prix.
Ainsi, si les garagistes que j’ai rencontrés demandent entre 30 et 50 € l’heure, les mécaniciens de rue touchent en général entre 10 et 20 € l’heure en suivant une formule de « forfait fixe » liée au type de réparation. (...)
Les mécaniciens de rue font partie du très hétérogène ensemble des travailleurs et travailleuses qui vivent grâce à des activités de l’économie informelle, c’est-à-dire hors de toute formalisation législative et administrative, ne respectant pas le code du travail ni les règles fiscales.
L’ampleur et les frontières de l’économie informelle échappent à une définition claire et à sa quantification, même si son poids est estimé à 6,6 % du PIB français par l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). (...)
leur travail dépend beaucoup de la capacité à éviter les plaintes des riverains liées aux nuisances occasionnées, comme les bruits, la saleté et le dérangement dû à la circulation des voitures et des gens.
Il est également dangereux de rester allongé pendant des heures au sol sous une voiture soulevée par un simple cric ou de maigres béquilles ; le mal de dos devient un ennemi insidieux. Or, le corps est un capital fragile que l’on doit soigner pour continuer à travailler.
Des figures familières
Les mécaniciens que j’ai côtoyés deviennent des figures familières dans le quartier où ils travaillent, ils entretiennent des relations avec les clients et les différentes figures du monde de la réparation (garagistes, gérants de casse-auto ou de contrôle technique, vendeurs de pièces…).
Les garagistes rencontrés ne les voient pas seulement comme des concurrents déloyaux (par leurs bas prix), mais comme des figures qui offrent un type de service spécifique sans les garanties et les qualités des garages.
Les mécaniciens de rue sont sollicités surtout par ceux qui possèdent un véhicule défaillant et dont ils veulent prolonger « la vie » sans avoir les ressources financières suffisantes. (...)
Leur capacité à mettre en place une multiplicité de services confère une continuité à leur activité en valorisant leur compétence. Disposer d’un réseau de connaissances devient aussi indispensable que la maîtrise des moteurs.
« Entrepreneur de soi » au cœur de la précarité
Leurs pratiques de travail nous montrent à quel point les mondes de l’économie formelle et informelle sont imbriqués