
Comme l’ont montré de nombreux chercheurs reconnus, l’avantage économique des pays développés sur le reste du monde est relativement récent. Selon Paul Bairoch, en 1750, le PNB de l’ensemble des pays qui allaient plus tard constituer le tiers monde était presque le triple de celui des pays développés. Même reporté au nombre d’habitants, le chiffre était légèrement supérieur. Ce n’est qu’à partir de cette époque qu’on constate progressivement un décalage entre la croissance économique des pays du Centre par rapport à ceux de la Périphérie. |1| Ce décalage n’a évidemment rien du hasard puisque c’est à ce moment que des mécanismes d’exploitation vont se mettre en place à l’échelle mondiale, à la faveur de la conquête du monde par les puissances européennes.
Quand l’exploitation nourrit la croissance
La traite négrière va ainsi à la fois leur fournir une main-d’œuvre gratuite considérable mais également saigner le continent africain de plusieurs millions de personnes. Parallèlement, la colonisation, de l’Amérique puis des autres continents, va approvisionner l’Europe des capitaux et des ressources nécessaires à son industrialisation tels que l’or, l’argent, le coton ou encore le caoutchouc. La copie et surtout la destruction de l’artisanat indigène, ainsi que l’accaparement des terres nouvellement colonisées vont compléter ce que Karl Marx nommera l’accumulation primitive du capital. Comme Kenneth Pomeranz le souligne, les avantages de la Grande-Bretagne sur d’autres régions du monde (notamment en Chine) furent notamment l’accès simultané aux ressources du nouveau monde et la possibilité d’envoyer une partie de sa population dans les nouveaux territoires, ce qui soulagea les pressions environnementales. |2| Malgré les vagues d’indépendances, ce pillage continuera jusqu’à aujourd’hui par le biais d’un système néocolonial constitué d’endettement et d’appui à des dictatures corrompues favorables aux intérêts d’une élite économique et financière.
Des externalités délocalisées
Entendons-nous bien, l’exploitation des matières premières du Sud n’est pas le seul facteur ayant encouragé la croissance de l’Europe et des Etats-Unis. En fait, cette croissance n’a pu atteindre de tels niveaux que parce que ce sont les pays du tiers monde qui en ont largement payé le prix. (...)
Plus généralement, c’est toute une série de nuisances qui ont été transférées à la périphérie, principalement pour contourner des législations de plus en plus strictes dans les pays riches. |6|. De nombreux progrès environnementaux ont ainsi été réalisés sur le compte des plus pauvres, ce qui a pour effet pervers d’éloigner les consommateurs des aspects les plus sombres d’un mode de production et de consommation qui concerne de plus en plus populations, limitant fortement la possibilité d’une prise de conscience environnementale chez les citoyens.
Une croissance qui ne peut qu’être exclusive
À l’ensemble des désastres sociaux et environnementaux ayant nourri la Croissance, il convient d’ajouter l’épuisement de nombreuses ressources
La raréfaction conjointe des énergies fossiles, de nombreux métaux et des ressources alimentaires |7| vont rendre impossible le « rattrapage » des pays du Sud à un niveau de production et de consommation tel qu’il existe dans les pays les plus riches. Cette réalité fait donc de ce rattrapage un mythe qui, comme bien d’autres entretenus par l’idéologie néolibérale, ne sert qu’à dissimuler la vraie nature du « développement » ou de la « croissance », à savoir l’exploitation du plus grand nombre par ceux qui en profitent : les grandes multinationales et leurs serviteurs politiques, au Nord comme au Sud.