
Le 6 octobre dernier, le collectif technocritique Écran total investissait les locaux tarnais de l’assurance maladie, pour protester contre la création forcée d’un « Espace numérique de santé » à chaque usager du système de soins. Des participants nous racontent cette action.
Depuis début janvier, l’administration ouvre à chaque usager du système de soins un « Espace numérique de santé » (ENS), qui centralise sur un même serveur ses ordonnances, certificats, résultats d’analyses, dossiers d’hospitalisation, historiques de remboursement, etc. Alors que son devancier, le Dossier médical partagé, n’était fourni qu’aux seuls volontaires, un ENS personnel est créé d’office à tout le monde, sauf opposition expresse. Désormais, c’est donc aux non-consentants qu’il revient de refuser explicitement que les informations les concernant soient ainsi regroupées sur internet. Pour tous les autres, le consentement est réputé automatique, quelles que soient leurs potentielles craintes sur le fait que leurs « données » soient, un jour prochain, mises à disposition de compagnies d’assurance, de banques ou encore de start-up de e-santé qui développent des « applis mobiles » à partir d’analyses algorithmiques.
Au sein des institutions, il n’y a guère que la Défenseure des droits qui s’alarme de ce basculement, elle qui rappelait en mars dernier que dans ses relations avec les différents services publics, « l’usager devrait pouvoir effectivement disposer d’alternatives équivalentes, non hiérarchisées ou priorisées, accessibles et qui n’induisent pas d’inégalité de traitement de la part du service public ». Elle préconisait de laisser à chacun le choix de son mode de communication avec l’administration, sans enfermer d’office tous les usagers dans une relation exclusivement numérique et sans leur faire supporter les dysfonctionnements de l’administration en ligne.
Dans l’antre de la Sécu
D’autres voix s’élèvent dans la société pour appeler de manière nette au refus de « Mon espace santé » par le plus grand nombre 1. Le collectif Écran total en fait partie, dans la continuité de ses actions régulières depuis plusieurs années contre la numérisation des services publics
Le 6 octobre dernier, certains d’entre nous se sont rendus à la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) d’Albi (Tarn) pour clamer ce refus, et tenter de le partager avec les employés de la Sécu. Qui ont été bien étonnés, et parfois courroucés, de nous voir débarquer à quarante pour ouvrir une discussion de fond pendant leur temps de travail, non seulement dans le hall public, mais aussi dans les bureaux où la majorité travaille. (...)
Tout en affirmant la légitimité de notre manifestation impromptue, dans ce monde verrouillé de toutes parts, nous avons accepté le rendez-vous proposé.
Le 20 octobre, trois d’entre nous (une travailleuse sociale, une journaliste et un prof de musique) sont retournés à Albi exposer un programme de revendications minimales, pour freiner le déferlement numérique qui liquide le service public de santé : droit d’accès à un parcours de soin sans internet ni smartphone ; mise en place d’une communication largement visible sur le droit d’opposition à la création de l’ENS, via un affichage dans les antennes de la CPAM, un message pour les usagers qui patientent sur le serveur téléphonique ainsi que des courriels adressés aux assurés sociaux. Le directeur s’est mollement engagé à prendre en considération ces exigences. Sans surprise, à ce jour nos revendications ne semblent pas avoir été satisfaites, ni dans le Tarn ni ailleurs.
Lors de cet entretien, la délégation d’Écran total a pu mesurer combien les cadres de la start-up nation sont peu conscients de la différence entre un accueil par des humains et la réception par un écran d’ordinateur. Leur confiance dans la technologie semble les rendre totalement aveugles aux risques de fuite et d’appropriation (sauvage ou légalisée) des informations qui sont stockées sur l’ENS. (...)