
Comment une unité, une concorde nationale serait-elle possible alors que les inégalités sont aussi fortement perçues ?
. Je ne vois pas pourquoi le sentiment national devrait l’emporter sur d’autres solidarités. Et puis, il m’a toujours semblé que le patriotisme allait de pair avec une certaine idée de la supériorité (morale, culturelle, historique) d’une nation sur d’autres. Alors autant dire que je reste stupéfaite quand je vois l’idée patriotique resurgir. Si on résume, politiquement, nous avons droit à un affrontement Rassemblement national vs La République en marche soit d’après les mots du président de la République, nationalistes contre patriotes. (...)
Le mythe de la France éternelle, absurdité totale
Parce qu’Emmanuel Macron se revendique comme patriote. Depuis son élection, ses discours sont nourris de références à la grandeur de la France. (...)
Je laisse les historien·nes s’étrangler. Marrant comme la France des politiques, ce n’est jamais la France de la Saint-Barthélemy, de la collaboration, de la Terreur, des massacres coloniaux. Si c’est négatif, ce n’est pas vraiment la France.
Mais l’un des grands tours rhétoriques du discours patriotique, c’est surtout de faire disparaître tous les rapports de domination, toutes les luttes de classes ou autres, au profit du grand ensemble de la cohésion nationale où riches et pauvres, dominant·es et dominé·es communient dans l’amour des valeurs de la patrie. Quelle arnaque... Je suis toujours étonnée par la volonté des politiques de créer une unité nationale hors temps de guerre. Comment une unité, une concorde serait possible alors que les inégalités sont perçues aussi fortement ? Si on veut réellement créer une unité nationale, on commence par mettre les moyens financiers de s’attaquer aux racines des inégalités, et on essaie de ne pas pointer du doigt les plus faibles. (...)
Mais dans le fond, il s’agit avant tout de stratégie politique, il ne faut pas laisser le discours nationaliste à la seule extrême droite, d’où la reprise du mot de Romain Gary sur le patriotisme qui est l’amour des siens et le nationalisme qui est la haine des autres, ce qui donne une vision assez claire de la situation politique : il y a les gentils patriotes (LREM) et les méchants nationalistes (le RN). Exit le débat d’idées, il ne s’agit là que d’un combat impressionniste à qui vendra le portrait le plus flatteur de la France. À ce jeu-là, je ne suis pas certaine qu’Emmanuel Macron puisse encore l’emporter longtemps face à Marine Le Pen.
Parler de la nation, c’est ne plus discuter d’un système politique et d’un modèle économique étatique, mais choisir un discours teinté de religiosité. L’absolu serait patriotique. Emmanuel Macron aime évoquer ceux qui ont été prêts à mourir pour la France. Outre le fait que j’ai horreur qu’on fasse parler les morts, on peut légitimement se demander si certain·es ne sont pas plutôt mort·es pour des idées comme la liberté, sachant que non, la France n’est pas une idée, un concept, la France n’est pas synonyme de liberté, d’égalité, de fraternité. Avoir ces mots en devise n’est qu’une imposture si la politique appliquée jour après jour la dément.
Reconnaître sa responsabilité dans l’horreur
Le dernier problème que pose le discours patriotique, c’est qu’il aboutit inéluctablement à ce que l’on nomme le roman national. Or le patriotisme macronien vient de prendre une tournure inquiétante. À l’occasion des commémorations du 25e anniversaire du génocide des Tutsis du Rwanda, la présidence de la République française a décidé de constituer une commission d’historien·nes chargée d’enquêter sur les archives documentant le rôle de la France au Rwanda entre 1990 et 1994. Travail fondamental et nécessaire.
Le problème, c’est que deux spécialistes ont pour l’instant été exclus de cette commission : Hélène Dumas et Stéphane Audoin-Rouzeau, pourtant reconnus pour leur expertise sur le sujet. La communauté des historien·nes s’inquiète d’assister à une réécriture de l’histoire qui viserait à limiter au maximum la responsabilité de la France et de son armée dans ce génocide. (...)
on pourrait penser que l’honneur national, c’est également de reconnaître sa responsabilité dans l’horreur. C’est le premier pas pour éviter la reproduction d’un cauchemar qui a tué 800.000 personnes en 100 jours.