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Non-Fiction
Le péché originel d’une République fraternelle
Les non-frères au pays de l’égalité Éditeur : Presses de Sciences Po
Article mis en ligne le 21 février 2017
dernière modification le 14 février 2017

Dans le sillon creusé dans ses ouvrages précédents, Réjane Sénac apporte une nouvelle touche à la dénonciation de ce qu’elle nomme le mythe de l’égalité à la française. Son œuvre, car c’est bien le terme qu’il convient d’employer, apparaît comme une contribution majeure à l’élaboration d’un discours critique sur notre mythologie politique, discours qui se place opportunément sous les auspices de Roland Barthes, lequel définissait le mythe comme une parole dépolitisée. Faire de la politique, c’est donc examiner les « rapports humains dans leur structure réelle, sociale, dans leur pouvoir de fabrication du monde » .

Qu’observons-nous ? Fondamentalement, le sacrifice de l’égalité en tant que principe de justice. A sa place, un discours utilitariste de justification de la promotion de la parité et de la diversité qui vise à assigner les femmes et les non-Blancs à une singularité sexuée et/ou racialisée. Aussi le potentiel subversif de cette promotion est-il totalement perdu de vue au profit de l’idéologie de la complémentarité. Ce point est nodal : Réjane Sénac décrit la binarité sexuée comme nécessairement inégalitaire dans la mesure où le deuxième sexe complète un masculin défini comme norme et autorité. Nous en reparlerons.

Elle ne manque pas d’arguments pour étayer cette thèse, et d’abord celui de l’héritage historique, celui d’une République « où les “hommes blancs” tracent les limites du politique, en termes à la fois de ce qui est politique et de qui est politique » . C’est sans doute ce poids de l’histoire qui explique qu’un chercheur, Thomas Piketty, pourtant attentif aux inégalités, puisse dire de l’égalité à la française qu’elle est « exemplaire » et « absolue » tout en soulignant qu’elle ne s’applique qu’aux hommes !

Ce qui est extrêmement stimulant dans l’argumentation de l’auteure est ainsi l’idée que la persistance des inégalités n’est pas l’expression d’imperfections certes durables mais qui seraient en contradiction avec le principe. Non, ce qui est manifeste, c’est l’existence d’un meurtre originel, celui de l’égalité pour les non-frères. L’auteur du meurtre a un nom : la complémentarité sexuée, laquelle définit les femmes comme des « êtres relatifs », c’est-à-dire « élevées non pour elles-mêmes, mais pour les autres » . R. Sénac insiste ici opportunément sur l’éducation, centrale dans la construction de la citoyenneté, qui « devient la garantie de la reproduction et de l’acceptation de l’ordre, en particulier sexué, à travers la transmission de la croyance en la différence des sexes » .

Les droits fondamentaux, dont on vante la neutralité, ne résistent pas à l’examen des faits : les assassinats de femmes par leurs conjoints représentent 19% des homicides en France, les différences de salaires entre hommes et femmes est supérieure à 19%, etc. Mais ces données n’empêchent nullement la mythification du principe d’égalité (...)

L’égalité n’a pas à être performante, elle est « un principe de justice inconditionné » . C’est à l’aune de ce principe que doit être mesurée la cohérence d’un projet politique qui « oublie » des millions de non-frères, « en raison de leur prétendue moins-value naturelle » , tout en cherchant aujourd’hui à les inclure « en raison de leur prétendue plus-value culturelle, et non en tant que semblables » (...)