
Pendant que l’utopie numérique rêvée trente ans plus tôt enfantait un supermarché à partir de 1990, un groupe d’irréductibles maintenait envers et contre tout un projet fidèle aux origines : le logiciel libre. Coopté, récupéré et trahi par les mastodontes de l’industrie, le voici fragilisé.
(...) le système d’exploitation Linux, le serveur Web Apache ou le lecteur multimédia VLC en sont des exemples connus. Ils abandonnent les droits exclusifs sur leur production non seulement parce qu’ils perçoivent des bénéfices non financiers (plaisir, apprentissage, réputation, offres d’emploi), mais aussi pour des raisons morales : une licence dite « copyleft » (comme la licence publique générale, GPL) accorde aux utilisateurs les droits d’exécution, de copie, de modification et de distribution du code informatique. Elle impose aussi le maintien de ces libertés dans toutes les versions dérivées du logiciel.
Où en est aujourd’hui le mouvement du logiciel libre ?
La réponse n’incite guère à l’optimisme : il a été coopté, intégré et récupéré par les colosses de la Silicon Valley, Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft (Gafam). Au point que les logiciels open source (pour « code source ouvert », un terme adopté dans le milieu industriel pour parler du logiciel libre sans parler de… libertés ! ) se trouvent désormais au cœur de l’économie numérique. Selon un sondage réalisé en 2018 auprès de 1 200 professionnels de l’informatique, plus de neuf applications sur dix contiennent des fragments de programmes issus du monde « libre ». L’intégration débute au début des années 2000 chez IBM et s’achève en 2018 avec le rachat par Microsoft de la plate-forme de développement collaborative GitHub pour 7,5 milliards de dollars. Les entreprises paient certains développeurs, profitent du travail gratuit des bénévoles, et les intellectuels critiques qui voyaient dans le « libre » un outil d’émancipation en sont pour leurs frais. (...)