
Adolescente, je pensais que discriminer les gens sur leur couleur était dégueulasse. Ce qui ne m’était pas encore venu à l’esprit, c’était de penser que j’étais blanche.
J’ai été élevée dans l’idée que le racisme, c’était très mal. Déjà, le racisme, c’était de droite. Il y avait le gros raciste, il était bedonnant, il avait un œil de verre et il s’appelait Jean-Marie, et le raciste d’opportunité, il était maigre, il avait des lunettes et il s’appelait Jacques Chirac. Le racisme, c’était donc très mal mais comme notre société n’était pas à un paradoxe près, j’ai grandi dans un monde où Michel Leeb régnait en maître sur la télé, où on mangeait des biscuits bamboula, où on trouvait des têtes de nègre dans les boulangeries, où accrocher aux murs des vieilles affiches de pub « Y’a bon Banania » était tout à fait normal. (...)
J’étais comme ces hommes qui ne se pensent pas dominants, qui sont absolument d’accord pour que les femmes gagnent le même salaire qu’eux et qui ne voient pas que s’ils occupent tel poste avec telle rémunération, c’est précisément parce que des femmes se font exploiter, que sans l’exploitation du travail des femmes, le système économique ne pourrait pas être le même. (Il y a tout le travail que les femmes font gratuitement et les métiers essentiels du soin qui sont sous-payés.)
L’esclavage, gage de notre prospérité
Ma vision d’une situation neutre tenait beaucoup de la méconnaissance historique. Peu ou prou, on m’avait appris, sans me le dire clairement bien sûr, que si les « pays développés » étaient plus développés économiquement que les autres (et oui, il y aurait beaucoup à dire sur cette idée du progrès), c’était quand même bien parce que les personnes qui les composianet avaient été très intelligentes. (Il faut inclure ici la liste des noms des « grands hommes » dont on voyait les portraits dans les livres.) C’était dû exclusivement à notre mérite.
On ne m’a jamais appris à l’école qu’il pouvait y avoir un lien direct entre le niveau de richesse actuelle de ces pays et la traite humaine. (...)
Que l’on doive notre fameux « développement économique » en partie à l’exploitation des autres peuples n’était pas abordé. (Comme est peu abordé l’angle inverse : à savoir les conséquences de ces traites sur le développement économique de l’Afrique subsaharienne.)
Ce que j’envisageais comme une situation neutre était en réalité le fruit d’une longue histoire, lourde, douloureuse, complexe. Nous sommes interconnecté·es les un·es aux autres. Il existait une histoire de domination dont j’héritais sans en avoir conscience, et dont tous les indicateurs (économiques, sociaux, politiques) nous montre qu’elle n’est pas revenue à zéro mais qu’elle continue de se répercuter de génération en génération. (...)
Prendre conscience de son privilège
Le terme de « privilège » a tendance à crisper en France parce qu’il est très connoté. Il renvoie à l’Ancien régime et à la noblesse, à la nuit du 4 août 1789 où l’on a déclaré la fin des privilèges. On pourrait parler de « l’avantage » à être blanc mais cela effacerait l’aspect sociétal et historique de la situation actuelle. Le terme de « privilège » permet de décentrer le regard. De sortir de soi. Pour d’autres, qui sont racisé·es, se faire contrôler par la police, c’est le quotidien, la norme. Donc ne pas l’être, jamais de toute sa vie, est perçu comme un privilège. Parler de privilège permet de changer de point de vue et de responsabiliser, d’empêcher l’indifférence et le « ça ne me concerne pas ». Si on parle de privilège blanc, ce n’est pas pour nous forcer à nous excuser de qui on est, ou nous demander de faire pénitence en nous flagellant mais pour participer à faire de nos privilèges une norme.
Quand on avait étudié la décolonisation à l’école, cela avait été présenté comme un problème de colonisé·es. Un peu comme si on considérait que le racisme était un problème de Noir·es et pas un problème de Blanc·hes. (...)
Prendre conscience de son privilège
Le terme de « privilège » a tendance à crisper en France parce qu’il est très connoté. Il renvoie à l’Ancien régime et à la noblesse, à la nuit du 4 août 1789 où l’on a déclaré la fin des privilèges. On pourrait parler de « l’avantage » à être blanc mais cela effacerait l’aspect sociétal et historique de la situation actuelle. Le terme de « privilège » permet de décentrer le regard. De sortir de soi. Pour d’autres, qui sont racisé·es, se faire contrôler par la police, c’est le quotidien, la norme. Donc ne pas l’être, jamais de toute sa vie, est perçu comme un privilège. Parler de privilège permet de changer de point de vue et de responsabiliser, d’empêcher l’indifférence et le « ça ne me concerne pas ». Si on parle de privilège blanc, ce n’est pas pour nous forcer à nous excuser de qui on est, ou nous demander de faire pénitence en nous flagellant mais pour participer à faire de nos privilèges une norme.
Quand on avait étudié la décolonisation à l’école, cela avait été présenté comme un problème de colonisé·es. Un peu comme si on considérait que le racisme était un problème de Noir·es et pas un problème de Blanc·hes. (...)
Le pays colonisateur doit se décoloniser –il faudrait un autre mot qui n’a pas encore été inventé, se « décolonisationner » ? Et je ne voudrais pas trop m’avancer mais j’ai l’impression qu’on est très loin du début de l’ombre d’un point de départ.