
Je développe dans ce billet trois idées faisant suite à ma série de posts sur le revenu de base (RB) : 1) c’est malheureusement devenu une bulle politico-médiatique qui va éclater d’ici peu ; 2) on peut en expliquer la formation, et 3) cette bulle fonctionne comme un leurre masquant d’autres enjeux cruciaux auxquels il faut revenir. Sans pour autant remiser le débat sur le RB, mais sans en faire un cache-sexe ou un cache-misère politique.
1) Depuis quelques mois, le revenu de base fait l’objet d’une bulle politico-médiatique. Elle va éclater après ou avant les élections de 2017, et ce n’est pas forcément bon pour une réflexion sereine et de long terme sur les qualités et les défauts du RB. Y mettre plus de passion (ou de propagande politique) que de raison ne servira ni cette idée ni les idées adverses. Les bulles boursières font des dégâts quand elles éclatent, les bulles politico-médiatiques aussi. Les bulles boursières sont déconnectées de l’économie réelle et lui nuisent. Les bulles médiatiques sur le RB sont, elles aussi, déconnectées des pistes réalistes permettant d’atteindre certaines finalités légitimes des projets de RB.
Pourquoi cette bulle va-t-elle éclater dans quelques mois ? Parce que même les responsables politiques qui se présentent aujourd’hui comme les avocats les plus décidés du RB ne vont finalement en retenir, j’en suis certain, que des mesures très ciblées (au demeurant dignes d’intérêt) n’ayant rien à voir avec l’universalité du projet. C’est déjà perceptible dans leurs propos actuels (voir l’entretien de Benoît Hamon dans Libé du 5 janvier, que je cite plus bas) et dans ceux des rares économistes qui défendent « philosophiquement » l’idée de RB, tout en concluant dans tous les cas, comme Daniel Cohen (voir l’annexe de ce billet), qu’il va falloir « atterrir » après avoir fait de la philosophie universelle…
Or le terrain d’atterrissage de Daniel Cohen est tout sauf un revenu universel, ce que je ne lui reproche pas. Ce qu’il préconise comme « point de départ » (voir l’annexe) est même d’une ambition minimale, avec une réforme « à budget constant » touchant les personnes gagnant moins de 2000 euros par mois… Or c’est cette réforme que l’on retrouve dans l’interview de Hamon lorsqu’il évoque une deuxième étape : « Deuxième étape, celle d’une généralisation. Il faudra alors voir, en fonction des expérimentations et de ce qu’on aura fait pour les jeunes, si cette allocation distribuée à tous sera accordée sous condition de ressources - moins de 2.000 euros - ou pas. Cela permettrait de viser les emplois les moins bien payés et pour lesquels on veut accorder de l’autonomie. » Est-ce faire un procès d’intention que de penser que cette étape risque d’être la dernière et que l’universalité revendiquée est un produit d’appel ?
2) Les explications de la formation de cette bulle sont à chercher, d’une part, du côté des institutions de la 5° République et de la logique de l’élection présidentielle/monarchique dans ces institutions, une logique de vedettariat compétitif accentuée par les « primaires », et d’autre part dans un système médiatique privilégiant les « coups » et les gros titres. J’inclus dans ce système médiatique favorisant les bulles le rôle des « réseaux sociaux » et celui des sondages pré-électoraux.
3) Dans cette bulle, le RB fonctionne comme un leurre et comme un facteur d’éviction, cachant des enjeux sociaux, écologiques et démocratiques plus décisifs selon moi, et bien plus présents sur ce blog depuis qu’il existe. Je précise : ce n’est pas le RB qui est une bulle, c’est au contraire un sujet sérieux à débattre, c’est la bulle médiatique autour de lui qui en fait un leurre occultant.
Voici une liste non exhaustive et non hiérarchisée d’enjeux selon moi cruciaux dont il faut se demander a) s’ils sont plus ou moins décisifs pour nos sociétés que le revenu de base, et b) si l’instauration d’un RB contribuerait ou non à les résoudre dans le bon sens.
– Une profonde réforme institutionnelle pour instaurer une démocratie de pleine intervention citoyenne
– Le réchauffement climatique et plus généralement la crise écologique
– La mise sous contrôle citoyen du système bancaire
– La réduction du temps de travail sur toute la vie
– L’abrogation de la loi travail
– La création de millions d’emplois utiles répondant à des besoins écologiques et sociaux
– Un revenu maximal (ou une tranche d’imposition à 90 %) pour en finir avec les inégalités démesurées, associé à un revenu minimum garanti se rapprochant par étapes du seuil de pauvreté
– L’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines
– Le mal logement
– Des services publics de qualité et démocratisés, notamment dans la santé et l’éducation
– Le soutien aux personnes âgées en perte d’autonomie
– L’éradication des paradis fiscaux et la lutte contre la fraude fiscale
– En finir avec les accords de libre-échange (Tafta, Ceta, APE…)
Etc…
Personnellement, dans cette liste, je vois très peu de cas où le RB serait un atout, et certains où il aurait un effet d’éviction (...)