
Ancienne enfant placée, la députée Perrine Goulet alerte sur les graves défaillances de l’Aide sociale à l’enfance, qu’elle appelle à reformer.
Son combat pour les enfants placés, elle ne le voit pas comme une revanche. « Je suis très en paix avec ce qui m’est arrivé […], je constate juste que cette politique dysfonctionne. » Députée LREM de la Nièvre, Perrine Goulet a elle-même vécu en foyer de ses neuf ans à sa majorité. Aujourd’hui élue, et après avoir un temps hésité à évoquer son histoire personnelle, elle entend se battre pour mettre un terme aux graves défaillances de l’Aide sociale à l’enfance (ASE).
Désignée rapporteuse d’une mission d’information parlementaire sur l’état de l’ASE, elle décrit dans son rapport remis cet été un système mal géré et à bout de souffle, qui ne parvient plus à remplir sa mission de protection des mineurs. Elle a formulé plusieurs propositions pour le remettre à flot, et travaille à les promouvoir auprès du gouvernement. À l’occasion de la diffusion d’un documentaire poignant de Zone interdite sur M6 ce dimanche 19 janvier, Le Point a rencontré Perrine Goulet pour parler du sort de ces enfants placés dont on a trop souvent détourné le regard. (...)
C’est malheureusement comme on le voit dans les reportages à la télé. La promiscuité, la collectivité, les violences… Ça peut être des éducateurs qui lèvent la main sur des enfants ou des enfants qui s’agressent entre eux. Ce sont aussi des paroles éducatives qui ne sont pas bienveillantes.
Diriez-vous que les éducateurs dont vous parlez sont responsables de la situation ou plutôt victimes du système ?
Les deux. Il y a les bons éducateurs qui sont dépassés parce qu’ils n’ont pas les moyens et qui, quand ils ont un geste déplacé envers l’enfant, ne se le pardonnent pas. Et il y a des éducateurs qui n’ont d’éducateur que le nom, qui utilisent la violence au quotidien. C’est comme dans toute profession, il y a des personnes bien et d’autres moins bien.
Certains vous ont marquée ?
En bien et en mal, oui. On surveille le planning pour voir quels éducateurs vont arriver. J’en ai discuté avec d’autres enfants et ils me disaient la même chose : on a ses éducateurs préférés et on attend que ce soit eux qui reviennent.
« Je caresse le doux rêve que d’autres enfants placés comme moi siègent un jour dans cet hémicycle. » Le 20 novembre 2018, Perrine Goulet a révélé lors d’une question au gouvernement qu’elle avait grandi dans un foyer. (...)
Quand on grandit dans ce milieu violent, sans l’affection et l’intimité dont un enfant a besoin, est-ce qu’on peut réussir à se construire correctement pour la vie qui vient après ?
Non, surtout quand il n’y a pas eu de suivi psychologique de ces enfants. Je me bats aussi pour que ces jeunes aient un suivi psychologique, parce que plus tôt on œuvrera à leur équilibre, mieux ce sera.
Dans le documentaire de Zone interdite sur l’ASE que diffuse M6 ce dimanche 19 janvier, on voit que la situation au sein des foyers n’a pas vraiment changé…
Pour en discuter avec d’autres enfants qu’on a pu auditionner lors de la mission d’information, on n’a effectivement pas l’impression que ça ait changé. Alors, effectivement, il y a des foyers où, on le voit, ça se passe bien avec un taux d’encadrement correct d’un adulte pour cinq enfants, mais il faudrait qu’ils soient tous ainsi. Parce que des foyers, comme j’ai pu en voir, avec un éducateur pour douze enfants, ce n’est pas possible. Ils ne peuvent pas faire la lecture le soir au coucher ni avoir un travail personnalisé avec les enfants… Ce taux d’encadrement est très important, c’est pour ça qu’on propose de l’inscrire dans la loi. (...)
Jusqu’à présent, ce n’est pas une politique qui intéressait énormément. Il y a toujours des départements qui font mieux que les autres, mais il y a des problèmes partout. Ces enfants, ce ne sont pas des électeurs. Les personnes âgées dans les Ehpad, on fait attention parce qu’elles peuvent aller voter. Les enfants ne parlent pas et leurs parents ne sont pas forcément en capacité de se défendre pleinement, donc c’est facile de mettre de côté cette politique. Pendant trop longtemps on a laissé les départements seuls sur cette politique, qui mêle aussi santé, justice et Éducation nationale. L’État y a toute sa place et il faut qu’il la reprenne. (...)
Je pense que la solution de sortie, c’est le revenu universel d’activité, qui est en cours de discussion avec Christelle Dubos [secrétaire d’État auprès de la ministre des Solidarités et de la Santé, NDLR]. Si on l’ouvre à ces enfants qui sortent de l’ASE, ils pourraient avoir un toit, avoir droit à des aides, on pourrait les remettre dans le circuit classique, tout en gardant une obligation de soutien éducatif pour les orienter. (...)
Il y a un an, avec mon collègue Mustapha Laabid, on a participé à des tables rondes sur la prostitution des mineurs. Les éducateurs qui étaient là ont signalé qu’environ 30 % des jeunes filles dans leurs foyers avaient des conduites pré-prostitutionnelles de type michetonnage ou prostitutionnelles. Ce n’est pas une minorité, et partout où je suis passée, on est dans ces taux-là, donc c’est un vrai sujet à travailler.
Les journalistes de Zone interdite ont eu le plus grand mal à se faire ouvrir les portes des foyers par les départements, et vous-même faites remarquer dans l’émission que c’est plus facile pour une députée d’aller visiter une prison qu’un foyer…
On était 23 dans la mission d’information qu’on a menée, et il a été difficile pour d’avoir accès aux foyers, alors qu’on avait le tampon de Richard Ferrand, président de l’Assemblée et troisième personnage de l’État. Seuls deux départements, le Nord et la Seine-Saint-Denis, ont accepté, d’autres avaient dit oui et qui se sont désistés après. (...)
Il faut aussi qu’en cas de problème, on ait un référentiel unique pour le traiter sur l’ensemble du territoire, car aujourd’hui, selon l’endroit, la réponse n’est pas la même. On souhaite par ailleurs que l’enfant soit accompagné d’un avocat, car sa parole est trop souvent représentée par l’éducateur référent de l’ASE ou par ses parents, et on ne l’écoute pas. J’ai souvent vu des enfants dire « oui, ce n’est pas idéal chez moi, mais c’est pire au foyer » et ça, on ne l’entend pas. On veut également bannir les hôtels sociaux où ils ne sont pas surveillés. Et il y a aussi des réflexions sur la formation des professionnels, le statut… (...)
Les départements disent partout qu’ils n’ont pas assez d’argent. Ça peut s’entendre pour certains, mais pas tous. Les Hauts-de-Seine n’ont pas de problème d’argent, et pourtant, ils ne font pas leur politique comme il faut. C’est aussi une question de volonté politique.
Comment se fait-il qu’on ait fermé les yeux aussi longtemps avant que le sujet soit enfin mis sur la table ?
Beaucoup de choses dans notre société sont en train de sortir. On a eu #MeToo et les violences faites aux femmes, dont on a jamais autant parlé. Des choses qui étaient tues depuis des années dans notre société pour ne pas faire de vagues. Les enfants de l’ASE, on se disait « ce ne sont pas les nôtres, c’est des enfants de cas sociaux », donc on n’en parlait pas. Mais maintenant, on a des nouveaux moyens de communication, ces enfants arrivent et disent « on est là et regardez ce que vous nous avez fait ». Ça va dans le sens de l’évolution de la société, on soulève les tapis pour voir les problèmes qu’il y a dessous. Je pense que c’est bien.
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Des rapports des services sociaux issus de toute la France et des décisions de juges des enfants, auxquels Marianne a eu accès, montrent des biais d’analyse face auxquels les parents n’ont aucun recours. (...)
(...) Un an après une enquête choc sur la prise en charge défaillante de l’Aide sociale à l’enfance, un nouveau documentaire de Zone Interdite, diffusé dimanche, enfonce le clou, montrant que beaucoup reste à faire pour mieux protéger les enfants placés.
Educateurs non formés, jeunes livrés à eux-mêmes, pré-adolescentes qui se prostituent ou fuguent et que personne ne recherche... Le journaliste Jean-Charles Doria a enquêté huit mois dans plusieurs foyers d’enfants placés pour dénoncer ces graves manquements.
"Ces images montrent des enfants et des adolescents pris en charge dans des conditions indignes, victimes de violences de la part d’adultes qui devraient prendre soin d’eux et les protéger", a regretté le Secrétaire d’Etat dans un communiqué diffusé sur Twitter, exprimant en même temps son "émotion" et sa "détermination à agir face à ces dysfonctionnements majeurs". I (...)
Plus de 350.000 jeunes font l’objet d’une mesure de protection de l’enfance en France, dont la moitié sont placés dans des foyers ou auprès de familles d’accueil. Une stratégie gouvernementale a été présentée en octobre. Si elle comporte des mesures pour améliorer la prise en charge médicale des enfants placés dès 2020, elle a été jugée "insuffisante" par les acteurs du secteur, notamment sur la formation des professionnels au contact des enfants et le contrôle des structures.
Mon communiqué suite au reportage #ZoneInterdite sur les foyers de l'Aide sociale à l'enfance. pic.twitter.com/hoL2ZV9CzL
— Adrien Taquet (@AdrienTaquet) January 19, 2020
– Aide sociale à l’enfance : ce documentaire choc va mettre la pression au gouvernement
Des chambres insalubres, des adolescents livrés à eux-mêmes et de la prostitution infantile organisée...Ces images que vous pouvez retrouver dans notre vidéo ci-dessus, tirées du documentaire “Mineurs en danger” et diffusées ce dimanche 19 janvier sur M6, ont été tournées en France, dans des foyers d’aide sociale à l’enfance. Elles montrent les très graves dysfonctionnements d’un système d’éducation et de protection des plus démunis, en manque total de contrôle et de soutien.
Au Huffpost, le réalisateur de ce “Zone interdite”, Jean-Charles Doria, explique n’avoir pas eu d’autres choix que de s’infiltrer en caméra cachée dans des foyers de l’ASE pour mener son enquête. L’idée de s’intéresser à ce milieu lui vient après avoir entendu lors d’un documentaire sur la Brigade des mineurs de nombreux témoignages d’enfants issus de l’aide sociale. À Dijon, Avignon ou encore en Seine-Saint-Denis, il y découvre en effet certaines situations glaçantes. (...)
Au milieu du chaos, des havres de paix
Au-delà toutefois des défaillances d’un système longtemps livré à lui-même, le tableau n’est pas entièrement noir. “Mineurs en danger” met aussi en lumière des foyers innovants, utilisant les 230 euros par enfants donnés par l’État par jour à bon escient et testant des méthodes éducatives saines.
Dans le Bas-Rhin, un foyer filmé par Jean-Charles Doria est un véritable refuge pour les enfants.Si la structure est certes en surcapacité pour pouvoir obtenir plus de moyens et offrir plus d’activités, tout est néanmoins mis en œuvre pour protéger et éduquer.
À l’aide de techniques douces, de psychologie et de communion avec la nature, des solutions adaptées sont trouvées et les enfants sont choyés. Ils grandissent et évoluent dans de bonnes conditions et leur apaisement est visible. À leurs côtés, main dans la main, des députés loin de se voiler la face sur les dysfonctionnements qui règnent ailleurs, se battent pour l’égalité des chances. Et briser le silence qui règne autour de la protection de l’enfance en France.