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Le travail en miettes
Article mis en ligne le 1er décembre 2014
dernière modification le 26 novembre 2014

(...) Parmi les collègues, il y en a qui se sont dit « Il n’a pas tort, il y en a trop qui profitent du système » ; d’autres « Encore un ministre qui se fait mousser  ! » et puis il y en a quelques-uns, plus rares, comme moi, qui ont pensé « C’est trop énorme, c’est de la manipulation. Une arnaque, quoi  ! » (...)

Ce chiffre de 350 000 offres d’emploi non-pourvues se fonde sur deux bases de données différentes. La première source vient d’enquêtes réalisées auprès d’employeurs, à partir desquelles sont exprimés les besoins de main-d’œuvre. Ce type de données peut être totalement « pipeauté » puisque les employeurs peuvent très bien se fonder sur une sensation, une impression et pas forcément sur quelque chose de concret.

La seconde source provient effectivement d’offres d’emplois non-pourvues. Ici il faut faire un distinguo. D’un côté, on a des postes très techniques, d’ingénieur ou de cadre dirigeant, principalement dans les technologies de pointe. Dans l’informatique, des sociétés ont du mal à recruter parce que les postulants sont rares et que certaines cherchent le mouton à cinq pattes. D’ailleurs, après être passées par Pôle emploi, elles font appel à des cabinets de recrutement, des chasseurs de tête, qui vont débusquer les candidats chez la concurrence moyennant pas mal de pognon. Ceci concerne une part infime des offres d’emplois bien évidemment.

Tout le reste, c’est-à-dire la majorité des offres non-pourvues, concerne des jobs dont soit le salaire est trop faible, soit les conditions de travail sont trop pénibles, soit l’employeur est connu comme étant un esclavagiste. Dans ces jobs-là, on observe un accroissement de la logique de turn-over où, sur un même poste de travail, on voit se succéder de plus en plus de personnes. En France, on a un paradoxe que les gens ont du mal à appréhender : plus il y a de chômage, plus il y a de précarité et plus on a d’offres d’emplois.

Dans les années 1980, le turn-over était de 26 % : entre le 1er janvier et le 31 décembre, pour une entreprise de 100 salariés, quand 26 personnes rentraient dans la boîte, autant la quittaient. Aujourd’hui, on atteint une moyenne de 50 %, avec un pic de 60 % en Bretagne. (...)

Cette logique de turn-over poussée à l’extrême, on l’observe aussi dans le bâtiment. C’est l’histoire du gars embauché en CDI, avec beaucoup d’heures supplémentaires qui, promesse de patron, soit lui seront payées, soit feront l’objet de récupération. Sauf qu’au bout de trois mois, le gars ne voit rien venir. Ici, il y a deux types de réactions. Le salarié qui gueule beaucoup et qui va réclamer ses heures, celui-là, c’est simple, il est viré. Par contre, celui qui gueule un peu, que l’on peut contenir, on le garde. On réussira même à lui faire fermer sa gueule, sachant que de toute façon qu’on l’aura à l’usure. Résumé de l’affaire  : tu recrutes trois salariés dont deux se barrent au bout de trois mois pour heures sup’ non payées et c’est tout bénéf : tu mets la pression sur celui qui reste et tu pioches deux autres candidats dans le tas de CV à disposition. (...)

Pour les politiques, il s’agit de faire croire que la transformation de l’organisation du travail à l’œuvre depuis les années 1970/1980, avec la création des CDD, de l’intérim, des emplois aidés, etc., est purement conjoncturelle alors qu’elle est structurelle. En pointant du doigt des gens qui bossent au black tout en touchant leurs allocations, ils font diversion sur l’essentiel, à savoir que ce sont des décisions politiques qui ont permis l’intensification du rythme du travail et le morcellement des emplois. D’ailleurs, ces chômeurs ne sont pas des gens qui ne cherchent pas d’emploi, mais qui ne cherchent plus d’emploi. Ils connaissent l’organisation du travail sur leur bassin d’emploi et savent que ce que l’on va leur proposer va impliquer de brader leur santé pour des clopinettes, de se mettre en danger psychologiquement ou physiquement. (...)

Il y a une forme d’injonction schizophrène dans cette société dont l’oukase permanent est de vouloir fondre les corps dans des emplois qu’elle précarise et détruit allègrement par ailleurs. En même temps, on voit bien les gains pour le patronat  : une main-d’œuvre toujours plus corvéable, quand elle ne déserte pas. (...)

C’est cette société-là dont on ne veut pas entendre parler. Et c’est pour cacher cette forêt-là qu’il y a ce fameux arbre des offres d’emplois non-pourvues. On pointe du doigt des personnes qui bossent au black, réalité bien faible au regard du gâchis de vies humaines, pressées au maximum au moment où elles ont le plus de jus, soit entre 25 et 45 ans. (...)