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Le village (alternatif) des « gueules cassées »
Article mis en ligne le 9 novembre 2013
dernière modification le 5 novembre 2013

A l’ouverture des grilles, une centaine de personnes se dirigent au pas de course vers l’entrée d’un grand hangar, tels des accrocs au shopping un jour de soldes. Ils veulent être les premiers à faire leur choix parmi les meubles, vêtements et jouets proposés à la vente dans cet immense bâtiment. Pourtant, il ne s’agit pas d’un centre commercial mais d’une communauté Emmaüs situé près de Pau (Pyrénées-Atlantiques). Tous les articles en vente sont issus du recyclage, collectés, triés et remis en état par la centaine de « compagnons Emmaüs » qui travaillent et vivent sur les lieux.

Pour la plupart, ces compagnons sont des « gueules cassées venues ici par nécessité », comme l’explique Germain, qui a fondé la communauté il y a 31 ans après sa rencontre avec l’Abbé Pierre. Le « petit projet » imaginé à l’époque par ce soixantenaire fort en gueule est devenu la plus grosse des 116 communautés Emmaüs de France.

Germain annonce une fréquentation de mille visiteurs pour un chiffre d’affaires de 10 000 € par jour, ainsi que dix-huit salariés en CDI qui assurent la gestion du quotidien. Les compagnons, eux, n’ont pas de contrat de travail bien que leur emploi du temps diffère peu de celui d’un employé classique. En revanche, ils sont nourris, logés, blanchis et touchent un pécule de 40 € par mois et 400 € à partir d’un an de présence.

Ce statut particulier a été reconnu par décret en 2009. Une décision saluée par Martin Hirsch, alors Haut-commissaire aux solidarités et ancien président d’Emmaüs mais critiquée par des anonymes, dont Georges qui se présente comme un ancien compagnon et compare la situation dans les communautés Emmaüs à du travail dissimulé. Germain estime au contraire que le mode de vie communautaire est nécessaire à la reconstruction des personnes. « Aujourd’hui, on enferme les gens dans l’individualisme alors que le collectif est source de créativité », pense-t-il. Loin de voir la communauté comme un campement pour pauvres, il la décrit comme une oasis « préservée du consumérisme et du productivisme ».

Un village qui cultive des tomates et son autonomie

Il fustige l’« assistanat » qu’entraine selon lui le RSA et « la gestion institutionnelle de la misère » pratiquée par les services sociaux. Il refuse le don qui selon lui aliène et veut lui opposer une logique de partage où chacun travaille à l’édification de la communauté. Il préfère d’ailleurs employer le terme de « village alternatif ».

En effet, avec une épicerie, une crêperie, un foyer, des lotissements faits de mobile-homes, de cabanes et de maisonnettes et même une ferme, ce lieu de vie a tous les attributs d’un petite bourgade tranquille… si l’on fait abstraction des barrières entourant le terrain. Le village est même doté d’un « conseil municipal » dont le maire n’est autre que Germain. « Tout ceux qui veulent participer à la décision viennent au conseil municipal », lance-t-il. Et même si Emmaüs Lescar Pau se veut autogéré, c’est Germain qui tranche dans « 95% des cas » sur l’accueil et surtout l’exclusion d’un compagnon.

Emmaüs Lescar-Pau ne ressemble pas aux autres communautés fondées par l’Abbé Pierre, notamment parce qu’elle est indépendante et ne reçoit pas d’argent d’Emmaüs France. Une démarche qui a le don d’agacer les dirigeants nationaux de la structure. Mais qu’importe les critiques, ce « village alternatif » cultive son autonomie. Alimentaire d’abord avec la ferme. Économique ensuite avec les multiples activités proposées sur le site qui permettent son autofinancement. Et au niveau du logement également. (...)

pour les maisons construites par les compagnons (espaces recevant du public mis à part), aucun permis de construire n’a été demandé. Pour lui, si les autorités acceptent ce genre de passe-droit, c’est que Emmaüs Lescar-Pau « est un partenaire économique et social incontournable des collectivités », aussi bien au niveau de l’accueil de sans-abris que de l’apprentissage d’un métier. Déchetterie, recyclerie, espace de vente, construction de logements, ateliers divers, événements culturels… Ce petit ilot autogéré en bordure d’autoroute ne reçoit aucune subvention publique ou privée afin de ne pas « blanchir de l’argent sale », selon les mots de son fondateur.

Ce dernier affirme d’ailleurs que c’est cette autonomie qui permet à ce village de faire acte de « désobéissance civile » et de s’engager sur le terrain politique. Ainsi, la communauté milite pour l’instauration d’un Revenu maximum autorisé, le développement de l’agriculture de proximité et biologique ainsi que pour l’éco-construction, deux activités pratiquées sur le village. (...)

Plus qu’un lieu d’accueil pour SDF, le « village alternatif » d’Emmaüs Lescar-Pau est une aventure collective, un projet politique, une expérimentation d’autres moyens de partager, de travailler et de vivre ensemble.