
La semaine du 20 février, la France a eu un éphémère « ministère de la Crise des banlieues », dont le siège était un hôtel particulier parisien abandonné, investi – sans violence – par ACLeFeu, le collectif né à Clichy-sous-Bois à la suite des émeutes de 2005. Ce ministère symbolique, ne serait-ce que par son nom, signalait au public le peu d’intérêt que les candidats à la présidentielle portent ordinairement aux habitants de nos quartiers populaires.
Les uns les craignent, les autres préfèrent ne pas trop en parler pour éviter d’effrayer – pensent-ils – leurs électeurs « autochtones ».
Qui s’intéresse aux banlieues ?
Après tout ce qu’il a pu dire, au fil des ans, contre ces quartiers « sensibles » et leurs populations, M. Sarkozy a préféré, on le comprend, ne pas faire le déplacement pour entendre des doléances pourtant fort bien présentées, à l’oral comme à l’écrit.
François Hollande, lui, l’a fait ; Eva Joly aussi, ainsi que des responsables d’extrême gauche. Reste que si le candidat socialiste a pu paraître attentif, à ce moment-là au moins, à ces questions brûlantes, en est-il vraiment de même, et dans la durée, de l’entourage qui le suit dans sa campagne ? Quant aux autres, leur marge d’action est évidemment limitée. Ils n’ont guère de chances d’accéder à la magistrature suprême.
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Entrée depuis peu au Sénat, je n’y suis encore, je le sais, qu’une « jeune » pousse. J’y suis, paraît-il, pour légiférer. Or comment n’être pas étonnée de constater avec quel soin, au long des derniers mois, dans l’atmosphère policée, fort civile, et ô combien réconfortante de cette auguste institution, sous l’influence de lobbies divers, on s’y est occupé… de lois mémorielles ?
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La banlieue, c’est la misère, c’est l’émeute et le désordre, c’est le danger qui guette les bonnes gens, ce sont les manières qu’abhorrent les élites... On n’est jamais très loin, dans ces affaires, de la « faute de goût ». (...)
J’ai pourtant pris mon courage à deux mains après ma visite à l’« hôtel particulier » d’ACLeFeu. Ayant un bon moment échangé avec ses porte-parole, j’ai décidé de porter au Sénat, du mieux qu’il était possible, la voix de ces citoyens-là pour interpeller le gouvernement, le jeudi 1er mars, sur la situation d’urgence où se trouvent les banlieues, pour rappeler à son bon souvenir ces oubliés qui ne sont pas la « racaille » « Kärcherisable » que certains se plaisent à évoquer.
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Les jeunes militants de ces associations qui se battent pour changer la donne sont des citoyens engagés et pacifiques. Ceux d’ACLeFeu ont produit, dès 2006, un cahier de propositions raisonnables et praticables pour parer au plus urgent et dont le gouvernement eût sans doute gagné à s’inspirer.
Mais qu’a donc fait la majorité présidentielle pendant ces dernières années, pour ces familles négligées par les pouvoirs publics, réduites à vivre dans des logements vétustes et exigus, victimes d’un chômage touchant 40% de leurs jeunes ? Pour ces populations abandonnées par l’école, en dépit des efforts d’enseignants vaillants mais à bout de souffle ?
Pour ces populations humiliées par les contrôles au faciès récurrents, régulièrement stigmatisées dans leur culture ou leur mode de vie, par le gouvernement et par certains médias à la botte, trop heureux de dénoncer un monde de délinquants, de dealers, de barbares à la religion primitive ?
Nos banlieues sont en colère depuis des lustres. Et pire, aujourd’hui, elles sont désabusées. Leurs jeunes ont la rage au ventre.
(...) Ebuzzing