
Pourquoi persistons-nous à avoir mal aux dents ? Pourquoi sommes-nous si nombreux à souffrir de nos crocs malades, abîmés ou perdus, alors que les soins dentaires sont prétendument gratuits et accessibles à tous ? Que penser d’un système qui incite les dentistes à bâcler les soins « Sécu » et à privilégier les traitements à haute valeur ajoutée ? Comment admettre que le sort d’un organe aussi prodigieusement vital et riche en significations dépende de notre place dans la hiérarchie sociale ?
Personne n’ignore l’importance des dents comme outil de mastication, territoire intime et carte de visite tendue aux yeux du monde. Pourtant, les inégalités d’accès aux soins restent abyssales, condamnant des millions de personnes à une vie atrophiée. C’est dans cet univers à la fois familier et méconnu que nous entraîne Olivier Cyran dans son dernier livre, Sur les dents. De cette remarquable enquête, voici, en guise de présentation, un bref extrait, consacré à une pratique fort répandue parmi les dentistes : le tri des patient.e.s en fonction de leur porte-monnaie. Une pratique qui, avec d’autres abordées également dans le livre, contribue à ce qu’on pourrait nommer la production sociale et politique des « sans-dents ». (...)
(...) En prêtant le serment d’Hippocrate, à l’issue de leur soutenance de thèse, les dentistes en herbe souscrivent à une ardente promesse : « Je donnerai mes soins à l’indigent et à quiconque me les demandera. » Apparemment, cette formule possède la propriété miraculeuse de ne laisser aucune trace dans leur esprit. (...)
De cela, l’honneur de la profession semble s’accommoder plus aisément : malgré le coup de semonce du Défenseur des droits dans l’affaire des sites de prise de rendez-vous en ligne, aucun homme de l’art n’a, à ma connaissance, été révoqué ou rappelé à l’ordre publiquement pour des faits de discrimination.
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« Sans-dents », disait un ancien président ? Dans un livre enquête, le journaliste montre comment le système de soins dentaires français permet difficilement aux plus défavorisés de se faire soigner correctement. La denture, reflet d’une situation sociale ? (...)
« On n’imagine pas le nombre de gens qui ont des histoires de dents à raconter », écrit Olivier Cyran dans Sur les Dents (éd. La Découverte). Faites le test autour de vous, quand on parle dentiste, c’est un foisonnement d’anecdotes et souvent de frayeurs, causées par la vue de la fraise ou de la facture. Car au pays de la Sécu, les soins dentaires restent un marqueur social fort (...)