
Incapable d’obtenir le moindre résultat en matière de lutte contre le chômage et les inégalités, le gouvernement se réfugie dans la manipulation de la peur et du repli sur soi, estime l’économiste Thomas Coutrot, porte-parole de l’association altermondialiste Attac.
Car répondre au terrorisme par la déchéance de nationalité, c’est plonger dans un imaginaire où l’ennemi ne saurait être français. Il est tellement plus facile de pointer un « barbare » venu de l’étranger. « Pour en finir avec le terrorisme, faut-il éradiquer les terroristes au prix du renoncement à la liberté, à l’égalité et à la fraternité ? Ou bien faut-il prendre enfin au sérieux la devise de la République ? »
L’improbable basculement de François Hollande, de « président ordinaire » obnubilé par le chômage à « chef de guerre » implacable contre le terrorisme, est d’autant plus révélateur que le personnage semble à contre-emploi. Pathétique retour de virilisme, tout se passe comme si le chef de l’État, héritier malgré lui d’une tradition impérialiste, d’une force de frappe et d’un siège au Conseil de sécurité, ne pouvait résister à la tentation d’exhiber ses attributs militaires pour masquer une impuissance par trop criante en matière économique et sociale. (...)
la lutte contre le chômage, rituellement évoquée comme « première priorité », se réduit désormais à deux slogans : la « simplification du Code du travail » et un énième « plan massif de formation des demandeurs d’emploi ». Hormis l’évocation d’un énigmatique « programme de grands travaux pour la croissance verte » (sans financement nouveau annoncé), les marqueurs habituels du discours hollandiste - « maîtrise des déficits », « compétitivité », « emploi », « croissance » - ont disparu, comme usés d’avoir perdu tout lien avec le réel. (...)
Les groupes du CAC 40 distribuent des profits records à leurs actionnaires, les inégalités flambent tout comme les cours boursiers – avant un prochain krach –, les banques croulent sous les liquidités déversées par la Banque centrale européenne. En même temps les investissements du secteur privé reculent et ceux du secteur public s’effondrent sous l’impact de l’austérité.
Que se passe-t-il alors dans le cerveau des économistes technocrates de Bercy ? Croient-ils véritablement pouvoir relancer l’emploi en simplifiant à nouveau les règles du licenciement ? (...)
Point n’est besoin de sortir de Sciences Po pour constater ce jeu de vases communicants : la démission face à la précarité, aux inégalités et aux discriminations débouche sur les postures nationalistes, sécuritaires et guerrières. Les élites politiques ne cherchent plus à susciter l’espoir mais à jouer sur la peur. Dans un même mouvement vers la droite, elles s’exonèrent simultanément de toute responsabilité dans les montées du chômage, de l’insécurité et de la désespérance. Quant à la gauche de la gauche, elle s’est abîmée dans des conflits d’ambitions et d’appareils.
La question qui agite une partie de la classe politique, notamment au Parti socialiste, de savoir si la réforme constitutionnelle ne visera que les binationaux, ou permettra de déchoir n’importe quel Français, est sans doute importante : dans le premier cas, les enfants d’immigrés nés en France seront clairement désignés comme des suspects par nature. La reprise telle quelle par le couple exécutif de cette proposition du Front national signale assez son abdication de toute éthique minimale. À cet égard on peut comprendre le souci de certains, à gauche et même à droite, d’infléchir la réforme pour atténuer la stigmatisation des binationaux.
L’enjeu essentiel du débat est pourtant ailleurs : les djihadistes français, quelle que soit leur origine, sont-ils des monstres étrangers à la cité ? Ou bien nous tendent-ils le miroir hideux de la trahison par cette République de ses idéaux républicains égalitaires et solidaires ? Pour en finir avec le terrorisme, faut-il éradiquer les terroristes au prix du renoncement à la liberté, à l’égalité et à la fraternité ? Ou bien faut-il prendre enfin au sérieux la devise de la République ? (...)
Inscrire dans la Constitution qu’un terroriste ne peut être français, c’est s’enfermer dans un monde imaginaire où les dangers ne sauraient venir que de l’étranger. C’est basculer dans le monde du Front national. (...)