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génération sacrifiée
« Les études supérieures forment des diplômés low-cost. »
David Cayla est maître de conférences en économie à l’université d’Angers et membre des Economistes Atterrés.
Article mis en ligne le 10 décembre 2020
dernière modification le 9 décembre 2020

La situation économique de la jeunesse n’est pas satisfaisante. Elle ne l’est pas pour des raisons conjoncturelles et structurelles. Nos universités ont été sacrifiées par la crise du COVID : ce seront les derniers établissements à rouvrir en 2021, si tout va bien. Or, certains étudiants vivent très mal ce confinement : les cours à distance renforcent les inégalités en raison d’une mauvaise connexion ou de contraintes matérielles (pas d’ordinateur, pas de place pour travailler…), de compréhension aussi. La pédagogie est durement affectée par les cours en ligne. De nombreux étudiants sont également privés des emplois qui leur permettaient de financer leur scolarité.

Enfin, ils connaissent des difficultés pour trouver les stages nécessaires pour valider leur diplôme, et ceux qui obtiennent leur diplôme ne trouvent pas d’emploi. La jeunesse non étudiante est également durement touchée par la crise du fait de la disparition des emplois intérimaires ou à temps partiel qu’ils occupent majoritairement. La conjoncture est clairement mauvaise pour la jeunesse dans son ensemble.

Mais des facteurs structurels contribuent également aux difficultés qu’elle rencontre. C’est d’abord culturel. Nous avons, comme d’autres pays latin comme l’Espagne ou l’Italie une « tradition » à laisser souffrir nos jeunes. Dans l’esprit français, un jeune devrait être éprouvé pour obtenir une bonne situation. On privilégie structurellement les seniors au détriment des jeunes en termes de qualité d’emploi ou de rémunération. On estime qu’un jeune doit « faire ses preuves » pour trouver sa place. Dans l’entreprise, il se situe souvent tout en bas de la hiérarchie sociale implicite qui s’instaure dans un collectif de travail. (...)

Enfin, les choix politiques ont participé au déclin socio-économique de la jeunesse. (...)

Il y a aussi les économies réalisées sur le dos du système éducatif. En France, l’enseignement professionnel est sous-financé, contrairement à d’autres pays comme l’Allemagne. La réforme de 2009 du bac professionnel a réduit de quatre à trois ans la durée d’obtention du bac et engendré la marginalisation du BEP. De plus, on a insuffisamment investi dans la création de places en BTS et en IUT car elles coûtent plus cher que les places en licence.

Pour faire face à une jeunesse de plus en plus nombreuse qui risquait de ne pas trouver d’emploi on l’a incité à poursuivre des études supérieures longues. Or, notre système supérieur est fondé sur la dualité universités / grandes écoles. (...)

De ce fait, l’injonction à entrer dans le supérieur s’est traduite par un gonflement des effectifs en fac. Cette institution est devenue une « voie de garage », une sorte de traitement social du chômage qui permet à certains de toucher une bourse pendant deux ans et d’éviter de chercher du travail. Les restrictions budgétaires ont naturellement rogné la qualité des formations en licence. (...)

De ce fait, l’injonction à entrer dans le supérieur s’est traduite par un gonflement des effectifs en fac. Cette institution est devenue une « voie de garage », une sorte de traitement social du chômage qui permet à certains de toucher une bourse pendant deux ans et d’éviter de chercher du travail. Les restrictions budgétaires ont naturellement rogné la qualité des formations en licence. (...)

les jeunes diplômés obtiennent en moyenne leur premier CDI à 30 ans et souffrent de revenus en baisse. En 2019, une enquête du CEREQ a montré l’effondrement des salaires pour les diplômés d’études longues. Par exemple, entre 1997 et 2015, le pouvoir d’achat du salaire médian mensuel à la sortie d’un doctorat et d’un master a baissé de 200 euros. Pour une grande école, c’est 220 euros de moins ; pour un M1, c’est une perte de 90 euros hors inflation. Nous avons dévalorisé toute une génération de diplômés. Les études supérieures forment des diplômés low-cost. (...)

les jeunes diplômés obtiennent en moyenne leur premier CDI à 30 ans et souffrent de revenus en baisse. En 2019, une enquête du CEREQ a montré l’effondrement des salaires pour les diplômés d’études longues. Par exemple, entre 1997 et 2015, le pouvoir d’achat du salaire médian mensuel à la sortie d’un doctorat et d’un master a baissé de 200 euros. Pour une grande école, c’est 220 euros de moins ; pour un M1, c’est une perte de 90 euros hors inflation. Nous avons dévalorisé toute une génération de diplômés. Les études supérieures forment des diplômés low-cost. (...)

Est-ce qu’on retrouve ce phénomène pour les jeunes issus des filières professionnels : bac professionnel, technologique ou infra-bac ?

Non. Au contraire, la jeunesse la moins diplômé a bénéficié de l’importante hausse du SMIC et des plus bas salaires. Selon la même étude, les titulaires d’un CAP ou BEP ont vu leur revenu mensuel médian augmenter entre 1997 et 2015 en euros constants. Ils sont passés de 1150 euros à 1350 euros, soit une progression nette de 200 euros. On note également une progression de 90 euros pour le bac général et de 150 euros pour les bacs professionnel et technologique.

Ces faits sont paradoxaux puisque on a en même temps multiplié les incitations à suivre des études longues. (...)

Nous avons donc des « surdiplômés » aux revenus qui diminuent et qui connaissent des difficultés croissantes pour se loger. Cela pèse évidemment sur leur capacité à fonder une famille. À Paris et dans les grandes métropoles, le nombre d’enfants s’effondre et les écoles maternelles ferment. La jeunesse qui perd, c’est celle des centres-villes et des études supérieures longues. (...)

Le diplôme reste toujours un élément crucial pour accéder à l’emploi et à de bonnes rémunérations. Mais les diplômés d’études longues n’accèdent pas toujours à des métiers à la hauteur de leur qualification. Par ailleurs, l’écart d’activité entre les « surdiplômés » et les « peu diplômés » se resserre. (...)

Le diplôme reste toujours un élément crucial pour accéder à l’emploi et à de bonnes rémunérations. Mais les diplômés d’études longues n’accèdent pas toujours à des métiers à la hauteur de leur qualification. Par ailleurs, l’écart d’activité entre les « surdiplômés » et les « peu diplômés » se resserre. (...)

C’est particulièrement vrai pour les titulaires de master ou de doctorat et cela engendre une grande frustration. Les « surdiplômés » doivent se rabattre sur des jobs alimentaires ou précaires qui ne leur permettent pas de vivre sereinement et de se projeter dans l’avenir.

Le risque est de voir cette jeunesse glisser vers des formes de radicalité politique. (...)

De plus, le monde du travail est devenu plus hostile pour les jeunes, bien plus que celui de leurs parents ou de leurs grands-parents. C’est la conséquence d’un management néolibéral et de l’intensification de la concurrence au sein des entreprises. Par ailleurs, cette génération est moins syndiquée que les précédentes et travaille dans des secteurs où les syndicats sont moins présents. Former des diplômés pour les maltraiter au travail représente une grande violence sociale dont les effets seront nécessairement néfastes pour la société dans son ensemble. (...)

La jeunesse est diverse et tout le monde ne vit pas la précarité de la même façon. Il n’en reste pas moins que la situation socio-économique de la jeunesse dans son ensemble s’est clairement dégradée, relativement aux autres générations, depuis trente ans. (...)

Cela peut-il expliquer les préoccupations essentiellement identitaires parmi la jeunesse ? Les questions économiques ou d’emplois sont moins présentes chez les jeunes, il semblerait.

Plusieurs raisons peuvent expliquer ce phénomène. Mais le rôle de l’État dans l’économie est sans doute une première explication. Les pouvoir publics n’ont plus de levier pour agir sur le système économique du fait de la perte des instruments monétaires, commerciaux, industriels et même budgétaires. C’est la conséquence de la mise en œuvre des doctrines néolibérales. (...)

A partir de ce constat, il faut bien redonner une perspective aux citoyens, notamment aux plus jeunes. D’où le succès, à gauche, des combats militants autour des thèmes sociétaux ou écologiques qui représentent une grande partie des luttes de la jeunesse de gauche.

L’autre raison, c’est la mondialisation. Elle a dégradé de nombreux secteurs d’activités. Le libre-échange et la multiplication des travailleurs détachés ont accru le dumping social. (...)

Tant à gauche qu’à droite, les jeunes ont donc le sentiment que tout est décidé sans eux, qu’ils n’ont pas forcément d’emprise. Ils ne peuvent pas discuter sauf des sujets identitaires ou sociétaux. Le néolibéralisme a réduit le débat démocratique en faisant sortir l’économie du champ du débat. Les identitarismes de gauche et de droite progressent donc dans cette jeunesse qui se sent dépossédée politiquement. (...)

Les jeunes ne se sentent plus représentés donc ils ne votent plus, au contraire des personnes âgées qui elles participent encore massivement au jeu électoral. La classe politique est davantage redevable envers cette population, et elle ne se préoccupe plus beaucoup de la jeunesse. Il faudrait résoudre cette équation, les jeunes doivent participer à la vie politique française. Nous sommes dans une société vieillissante, la masse démographique âgée commence à devenir très importante. Leur poids politique peut être problématique. (...)

Si la jeunesse bénéficiait d’emplois plus stables et mieux rémunérés, il n’y aurait plus de problème de financement des retraites. Au lieu d’opposer les générations, il faudrait au contraire s’appuyer sur la convergence de leurs intérêts. (...)

La crise économique est devant nous. Pour l’instant, la crise a été gérée par l’octroi d’aides massives en soutien à l’économie. Mais ces aides vont finir par s’arrêter ; nous verrons alors un nombre important de faillites. Or, pour faire face à l’hécatombe qui vient, nos dirigeants semblent désarmés. Le gouvernement mise sur une reprise rapide et spontanée de l’activité, un effet de rebond de l’économie mondiale. Cela nécessiterait que les ménages soldent une partie de leur épargne pour consommer rapidement. Mais les revenus des ménages risquent eux aussi de diminuer avec la baisse de l’emploi, de l’activité, la multiplication des faillites. Du coup, une partie de l’épargne risque de rester en banque et de ne pas irriguer l’économie. Ce sera la même chose sur les marchés extérieurs.

Evidemment, ceux qui vont souffrir le plus ce sont les précaires et les jeunes qui sortent de l’enseignement supérieur. C’est souvent la même population. Ils risquent d’être désemparés face à un marché du travail en crise.

Ensuite, nous avons la question de la « dette covid ». Le gouvernement tient absolument à rembourser cet emprunt, ce qui est absurde d’un point de vue macro-économique, surtout en ce moment où l’État emprunte à taux négatifs. Cela entraînera une compression des dépenses et une dégradation des services publics. Clairement, les lendemains ne seront pas heureux en termes d’emploi et de revenu.

Pour sortir par le haut de cette crise qui vient il faudrait que l’État embauche directement et passe commande au secteur productif. Or, la commande publique et l’emploi sont les grands oubliés du plan de relance tel qu’il a été conçu. (...)