
Les États confrontés à une pénurie de main-d’œuvre se focalisent souvent sur l’un ou l’autre groupe, alors qu’il n’est pas forcément obligatoire de choisir.
Avec l’allongement de la durée de vie, l’espoir de financer les systèmes de retraite et de santé s’amenuise, à moins que les êtres humains ne deviennent de plus en plus nombreux à gagner de quoi vivre et à payer des impôts.
C’est la raison pour laquelle, dans le monde entier, toutes sortes de pays tentent d’augmenter la part de la population active. Et ils ciblent pour cela les deux groupes susceptibles d’avoir les plus gros potentiels d’employabilité : les femmes et les personnes immigrées.
Dans les pays riches qui constituent l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE), il existe encore un écart important entre la participation des hommes et des femmes au marché du travail : en 2017, si 76% des hommes en âge de travailler avaient un emploi payé, ce n’était le cas que de 60% des femmes. Dans les pays en développement, ce pourcentage est encore plus bas. En somme, il devrait y avoir une foule de femmes susceptibles de rejoindre le marché du travail.
Sur le front de l’immigration, il existe également des écarts considérables en termes de nombres de personnes actives entre les pays riches et les pays en développement, ce qui donne aux pays pauvres comptant une population importante mais peu d’emplois la possibilité d’envoyer des compatriotes dans des pays riches, où les emplois sont nombreux mais la main-d’œuvre insuffisante. Théoriquement, cela est censé augmenter la masse salariale des pays les plus riches et, par conséquent, leur nombre de contribuables.
Les pays les plus riches ont tendance à favoriser l’une des deux options au détriment de l’autre. Pour prendre un exemple extrême, en Arabie Saoudite, plus de la moitié de la main-d’œuvre est constituée d’immigrés, principalement des hommes, et seules 15% des femmes travaillent.
À l’opposé, en Suède, quelque quatre femmes sur cinq sont intégrées au marché du travail, mais le recours à la main-d’œuvre étrangère n’est pas encouragé. D’ailleurs, les personnes immigrées courent trois fois plus de risques de se retrouver sans emploi que celles nées en Suède.
Pourquoi certains pays tentent-ils de promouvoir le travail des femmes, et des mères en particulier, tandis que d’autres préfèrent encourager l’immigration ? En gros, parce que chaque système équilibre différemment les forces de l’État et du marché et dispose de ses propres normes de genre. (...)
Orientation politique et valeurs culturelles
Sachant que les femmes restent majoritairement chargées de la responsabilité de l’éducation des enfants, le principal obstacle à l’augmentation de la part des femmes dans la masse salariale est le manque de dispositifs publics ou subventionnés de garde d’enfants. Lorsqu’ils ne sont pas adaptés ou qu’ils sont trop chers, le taux d’emploi des mères a tendance à chuter.
En Suède et au Danemark, où les systèmes de garde d’enfants sont abondants et abordables, plus de 80% des mères ont un emploi à temps plein ou partiel. Aux États-Unis, le seul pays riche qui n’ait pas instauré de congé maternité payé obligatoire, ce taux est inférieur de dix à quinze points de pourcentage. Et il serait peut-être encore plus bas si le niveau élevé des inégalités salariales ne permettait pas à certaines familles de la classe moyenne d’employer des nounous privées à bas coût.
Quoi qu’il en soit, un système public de garde d’enfants et abordable est synonyme de dépenses publiques et d’impôts plus élevés. Cela nécessite aussi des partis politiques prêts à les soutenir. Sans surprise, ce sont avant tout les pays scandinaves, bastions historiques des politiques de gauche, qui ont investi massivement dans des politiques de garde d’enfants généreuses et des congés parentaux payés de longue durée. Des impôts plus élevés et un secteur public plus important signifie aussi plus d’emplois pour tout le monde, y compris les femmes. (...)
Dans des pays où les partis de gauche sont faibles, augmenter les impôts pour financer les systèmes de garde d’enfants est politiquement difficile.
Autre facteur entrant en compte dans le taux d’emploi des femmes : les valeurs culturelles. Les pays scandinaves défendent généralement des normes plus progressistes en matière d’égalité des sexes (...)
Dans des pays où les partis de gauche sont faibles, augmenter les impôts pour financer les systèmes de garde d’enfants est politiquement difficile. Dans ces cas-là, l’immigration peut apparaître comme une alternative moins coûteuse.
Importer des personnes actives de l’étranger peut permettre d’augmenter la masse salariale sans réaliser les investissements publics massifs nécessaires pour encourager l’emploi des femmes. Les personnes ne bénéficiant pas de la citoyenneté sont moins exigeantes en termes de services, et elles n’ont pas le poids politique nécessaire pour se mobiliser et les réclamer.(...)
Importer de la main-d’œuvre migrante était bien commode : cela permettait d’augmenter le nombre de personnes actives à bas prix, tout en maintenant la famille traditionnelle.(...)
Alternative risquée
Le fait que certains pays aient historiquement préféré l’immigration et d’autres favorisé le travail des femmes ne signifie pas que les deux soient impossibles à concilier. En fait, à la fois le travail des femmes et la part des personnes immigrées dans la main-d’œuvre n’ont cessé d’augmenter aux cours des dernières décennies, en Europe comme en Amérique du Nord. Ce qui est vraiment dangereux, c’est de ne choisir aucune des deux options.
Le Japon se retrouve par exemple depuis quelques dizaines d’années devant un grave problème démographique et économique, à mesure que sa population vieillit et qu’il lutte pour sortir d’une longue période de stagnation économique.
Le gouvernement s’est montré réticent à ouvrir les portes aux migrations, alors même que l’environnement de travail et les structures familiales rendent très difficile le travail des femmes, même si leur participation à la main-d’œuvre a beaucoup augmenté ces dernières années.
Le Japon semble vouloir régler son problème de pénurie de main-d’œuvre en pariant sur son remplacement par des robots et les nouvelles technologies. Nul ne pourra dire si le pari s’est avéré payant avant de nombreuses années, mais étant donné que la plupart des nouveaux emplois s’inscrivent dans des services où la mécanisation est compliquée (comme les soins aux personnes âgées), la voie promet d’être semée d’obstacle.