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Les filles vont moins en prison… sauf si elles sont Roms
Article mis en ligne le 9 février 2017

Si les filles échappent globalement à la prison, ce n’est pas le cas des adolescentes roms. Dans certaines prisons, elles constituent même les trois quarts des incarcérations de mineures.

(...) Si l’on regarde les PV de police, on perçoit déjà cette différence de traitement : une fille aura droit à un questionnaire très poussé sur son intimité et sa sexualité. Si elle est mise en cause pour un vol à l’étalage, et que par ailleurs, elle n’a pas dormi chez elle, on veut savoir où elle était, avec qui, si elle a eu des rapports sexuels, s’ils étaient consentis… Alors qu’on posera très peu de questions intimes à un garçon – et ce même s’il est l’auteur d’une agression sexuelle !

Tout cela produit un traitement différent selon le genre du mineur : l’administration est beaucoup plus intrusive quand il s’agit de filles même quand il ne s’agit pas d’affaires sexuelles.
Contrairement aux garçons, les filles échappent à la prison

Quand on regarde les chiffres, on observe une disparition progressive des filles au tribunal (...)

Très clairement, les filles échappent au contrôle pénal par la justice, puis la prison. La sociologue Coline Cardi a déjà montré que les filles ne disparaissent pas dans la nature : on les retrouve dans les prises en charge médico-sociales ou dans le secteur de l’assistance éducative. Ça veut dire que lorsqu’une ado arrive au tribunal pour des vols, le juge, en général, ouvre un dossier, qui n’est pas pénal, mais de protection de l’enfance, ce qui est très peu fait pour les garçons.
La « déviance » est perçue comme non-naturelle chez les filles

On appelle ça l’assistance éducative.
(...)

la déviance n’est pas perçue comme « naturelle » chez les femmes. Elle l’est beaucoup plus chez les garçons, surtout à l’adolescence, lorsqu’ils sont dans des groupes de garçons, etc. (...)

Pour schématiser, un garçon écope de 15 jours de prison pour un vol à l’étalage, une fille d’une expertise psy et de 6 mois ou un an de suivi socio-éducatif, sans passage par la prison. (...)

Les jeunes Roms sont traitées comme les garçons : elles vont en prison

Mais des jeunes filles font exception : les jeunes Roms échappent clairement à ces normes de genre. Ces mineures, ce sont les « jeunes filles roumaines » – c’est l’expression employée dans les tribunaux, quelle que soit la nationalité de ces filles, pour désigner des mineures en grande partie roms. Elles arrivent sans-papiers, ne veulent pas dire qui sont leurs parents ou leur adresse, et arrivent pour des délits très spécifiques : vols d’horodateurs, de portable, aux agences bancaires, fausses pétitions… Et elles sont soumises à un traitement judiciaire lui aussi très spécifique !

A Paris, les adolescentes roms se retrouvent fréquemment en prison, à la nette différence des autres mineures, qui, nous l’avons vu, y échappent. En somme, les « jeunes filles roumaines », comme les appellent les acteurs des tribunaux, sont traitées comme… des garçons. (...) Les magistrats et les éducateurs ont tous des justifications différentes, plus ou moins assumées. En tout cas, ce n’est pas un secret : tout le monde se rend compte qu’elles vont plus en prison que les autres filles. (...)

Résultat : sur une trentaine de mineures en prison, vous avez une vingtaine d’adolescentes roms incarcérées pour vols, quelques jeunes filles ayant commis des actes très graves – comme un meurtre – et enfin quelques unes suspectées de terrorisme. On mélange des jeunes filles qui ont fait des vol à la tire, à des radicalisées et à d’autres qui ont tué leurs enfants ; ça fait un mélange bizarre. Les ados roms ne comprennent pas ce qu’elles font là ! (...)

Je suis sociologue, je n’ai pas de solution clé en main pour une justice non discriminatoire. Cela étant, je suis très critique de la justice personnalisée. En France, à la différence de la justice pour adultes, la justice pour mineurs est personnalisée, c’est-à-dire qu’on prend en compte d’abord la « personnalité » du mineur et enfin ses actes. (...)

Le problème, c’est que si on regarde la question à partir du genre, de la race ou de la classe, c’est une justice arbitraire, parce que le juge des enfants a un pouvoir énorme. Et cette justice peut reproduire les rapports de pouvoir qui traversent la société. (...)

On ne peut pas se permettre d’avoir une justice qui incarcère plus les adolescentes roms – et plus largement les classes populaires – et favorise les classes supérieures.