
Le système de sélection des futurs bacheliers pénalise ouvertement les élèves des quartiers populaires. Dans les lycées concernés, un sentiment d’injustice se répand, confirmé par des chiffres alarmants fournis par les syndicats. Reportage au lycée Paul-Éluard où la colère gronde.
Jeudi dernier, devant le lycée Paul-Éluard à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), c’est l’effervescence. Plus d’une centaine de lycéennes et lycéens sont rassemblés là. Le grand portail d’entrée est barré sur toute sa largeur par une banderole qui annonce laconiquement : « La lutte continue. » Après une assemblée générale qui avait décidé, mardi, d’un rassemblement, les élèves ont finalement opté pour un blocage : il s’agit de se faire entendre pour dénoncer la sélection opérée par la plateforme Parcoursup d’admission dans l’enseignement supérieur. Une sélection dont ils dénoncent le caractère discriminatoire à leur égard, eux, les lycéens de Seine-Saint-Denis. L’atmosphère semble plutôt sereine, mais parmi les lycéens rassemblés, les discussions vont bon train. Au cœur de celles-ci : les réponses de Parcoursup aux vœux des futurs bacheliers de ce lycée général et technologique. Et là, plus question de sérénité. (...)
Le sentiment est général mais le ministère, lui, refuse de donner le moindre chiffre permettant de comparer les réponses données par Parcoursup aux lycéens des quartiers populaires. Les méthodes de décision des universités, algorithme ou pas, demeurent couvertes par le secret, mais on sait déjà que nombre d’entre elles ont choisi de prendre en compte le classement du lycée d’origine. Seulement, même selon ce critère, Paul-Éluard est un des meilleurs lycées de Seine-Saint-Denis : 9e au classement 2018 (et 33e nationalement, sur plus de 2 300 établissements). Alors, existe-t-il une discrimination tout simplement géographique à l’encontre des élèves de banlieue ?
Cosecrétaire du Snes (premier syndicat du secondaire) en Seine-Saint-Denis, Grégory Thuizat confirme. Son syndicat a mené une enquête dans l’académie de Créteil, qui regroupe les départements de Seine-Saint-Denis, du Val-de-Marne et de la Seine-et-Marne, collectant les réponses de plus de 4 000 élèves. Résultat : au 25 mai, quand le ministère communiquait sur « plus de 50 % de réponses positives » nationalement, 57,6 % des élèves de Seine-et-Marne n’avaient aucune réponse positive. Ils étaient 54,7 % en Seine-Saint-Denis et 45,2 % dans le Val-de-Marne.
Des taux de refus effarants
Surtout, certains lycées, certaines sections affichent des taux de refus effarants, dépassant les 70 à 80 %. Avec un triste record pour le lycée Becquerel, de Nangis (77) : 95,5 % de « non » ou « en attente » ! Les élèves des sections technologiques de l’académie subissent les taux de réponses négatives les plus élevés – entre 64,3 % et 73,9 % –, quand les sections générales L, S et ES présentent respectivement des taux de 41,1 %, 49,3 % et 53,7 %. Des chiffres variables, donc, mais qui confirment assez nettement le sentiment des élèves de Paul-Éluard. Ceux-ci ont décidé de mettre leur action en suspens pendant les épreuves du bac, mais se sont donné rendez-vous dès celles-ci terminées, le 24 juin.