
L’inégalité sociale sévit aussi dans l’exposition aux nuisances : bruit, pollution, déchets, produits chimiques… affectent bien plus souvent les pauvres.
C’est un territoire cinglé d’énormes balafres. Des balafres grisâtres, toussoteuses, infranchissables. L’autoroute A1, en Seine-Saint-Denis, reçoit 200.000 voitures par jour. Installée au niveau du stade de France, une station d’analyse de l’air y relève les taux de pollution les plus élevés de France, en moyenne : 192 jours de dépassement des normes européennes en 2012, 73 en 2016.
Et puis, au milieu de ce brouillard toxique, il y a l’hôpital Delafontaine. Bordée par l’A1 et une autre voie rapide, sa maternité est, elle aussi, une des premières de France : 4.600 naissances chaque année, soit plus de 12 par jour (selon le JSD). Des associations de riverains (Collectif Lamaze, Union des associations de riverains du Stade de France et Comité porte de Paris) réclament que cette portion d’autoroute soit enterrée, afin de mettre fin au bruit, à la pollution, et à la fracture entre quartiers qu’elle entraîne.
Pour eux, il s’agit d’une « discrimination territoriale ». Est-elle due au hasard ? Pas vraiment. La commune de Saint-Denis, ville polluée, est aussi une des communes où le taux de pauvreté est le plus important, autour de 30 % de sa population (contre 14 % environ à l’échelle nationale, d’après l’Insee).
Mais Saint-Denis n’est pas isolée. Parce que les loyers y sont plus abordables, que la voix des habitants compte moins face à l’État et aux grandes entreprises, de nombreux quartiers populaires sont en première ligne face aux désastres environnementaux. Voici quelques exemples marquants d’inégalités environnementales.
À Lille et Marseille, les populations socialement défavorisées sont bien plus touchées que les autres par la pollution au dioxyde d’azote, selon l’équipe de recherche Equit’Area. (...)
« Près de la moitié des zones urbaines sensibles sont concernées par un “point noir bruit” et pour la région Île-de-France, ce taux approche 70 % », selon un rapport du Conseil économique, social et environnemental (Cese) paru en 2015. Un « point noir bruit » correspond à une exposition en façade supérieure aux valeurs réglementaires.(...)
La canicule de 2003 a entraîné une surmortalité de 15.000 personnes en France. Parmi celles-ci, les catégories socioprofessionnelles des personnes âgées et des ouvriers étaient surreprésentées, selon l’Institut national de veille sanitaire. De manière générale, les quartiers populaires sont davantage touchés par les grosses chaleurs, en raison de la hauteur des immeubles, du bétonnage et du peu de végétation, à quoi s’ajoutent souvent une mauvaise isolation et une mobilité réduite. (...)
Il existe en France près de 700 sites industriels classés « Seveso ». « Les deux tiers de la population exposée demeurent dans les zones urbaines sensibles », selon le rapport du Cese. Ce phénomène est aussi constaté à la campagne (...)
En parallèle, les catégories populaires bénéficient assez peu des politiques publiques visant à améliorer l’environnement. Prime à la rénovation énergétique, à l’achat d’une voiture ou d’un vélo électriques ? Comme ces actions demandent un investissement de départ important, les personnes aux revenus modestes n’ont souvent pas les moyens d’en profiter.
À l’inverse, les chantiers de rénovation urbaine ou d’écoquartiers, nouvelle forme de gentrification, ont pour effet de chasser au loin les populations paupérisées. (...)