
Dans les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), l’accès aux droits dont peuvent bénéficier les personnes en situation de handicap est rendu de plus en plus difficile. Témoignages.
Allocation adulte handicapé, aides de vie scolaire… les MDPH décident de tout
Les délais d’examen des dossiers par les MDPH sont très longs, même pour des renouvellements. Légalement, elles doivent répondre en quatre mois. C’est dans les faits souvent plus de six mois, voire un an, même au-delà, selon les endroits. (...)
L’Essonne fait partie des départements de France dont les délais de traitement sont les plus longs.
Chaque MDPH est indépendante de celle du département voisin. Créées par la loi de 2005 sur le handicap, elles ont remplacé les commission dites « Cotorep » (commission technique d’orientation et de reclassement professionnel) pour les adultes et « CDES » (commission départementale de l’éducation spéciale) pour les enfants. Elles sont depuis chargées de gérer les demandes concernant les allocations liées au handicap, les prestations de compensation du handicap (PCH, qui financent par exemple l’aide humaine à domicile), une reconnaissance de travailleur handicapé, des heures d’accompagnement scolaire pour les enfants en situation de handicap… Tous ces dispositifs qui aident les personnes handicapées dans leur vie, ce sont les MDPH, et leurs « commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées » (CDAPH), qui en décident. Pour le faire, elles déterminent un taux d’incapacité. (...)
« On a l’impression que l’administration, par sa lenteur et sa complexité, veut nous faire comprendre qu’on demande la charité » (...)
Que ce soit pour les adultes et les enfants, les temps d’examen sont parmi les plus longs en Seine-Saint-Denis, dans l’Essonne, le Val d’Oise, dans les départements d’Outre-mer, dans les départements ruraux du Cantal, de la Mayenne, de l’Orne. Soit une carte des inégalités d’accès similaire à celles des autres services publics. Même Paris n’est pas épargné. (...)
La durée d’attribution dépend du taux d’incapacité : elle peut être accordée pour un an, deux, cinq ans, ou pour dix, vingt ans pour les personnes dont le handicap n’a pas de perspective d’évolution favorable, voire sans limite de durée dans de très rares cas.
Pour Anna et Thibault, la limite de deux ans, ajoutée aux délais d’examen de près d’un an, signifient qu’il leur faut constamment se préoccuper de renouveler l’allocation (...)
le niveau de l’allocation reste en dessous du seuil de pauvreté : l’AAH s’élève depuis le 1er novembre à 900 euros par mois pour une personne seule sans aucune autre ressource. Auparavant, c’était 860 euros [5]. Avant de tomber malade, Anna travaillait. « J’étais valide, j’avais un job, je gagnais 1800 euros nets. » (...)
Odile Maurin, fondatrice de l’association Handi-Social et militante gilet jaune, a régulièrement aidé des personnes à faire valoir leur droits. Pour elle, « le problème, ce sont les moyens, et aussi la méthode. Il y a aussi de plus en plus de dossiers parce que la précarité fait que des gens qui s’en sortaient avant ne s’en sortent plus. » La loi de 2005 prévoit un examen individualisé des demandes. Le circuit est complexe : il faut déposer un dossier, puis une équipe pluridisciplinaire (médico-psycho-sociale) l’examine. La MDPH fait des propositions par écrit : soit on les accepte, et le dossier passe en commission, soit on les refuse. La personne concernée peut dans ce cas demander à être convoquée pour se défendre face à la commission.
Au sein des commissions, il y a des représentants du département, de l’Assurance maladie, de la CAF, des associations de personnes handicapées et de leurs familles… Odile Maurin siège dans la commission de la Haute-Garonne, une fois par mois. « Souvent, les représentants du département sont là pour essayer de donner le moins de droits possible, pour que cela coûte le moins possible au département », observe-t-elle.
La manière de fixer le nombre d’heures d’aide humaine nécessaire est aussi contestée. (...)
l’administration nationale compétente au niveau du handicap et de la dépendance, avait rédigé un guide pour aider les équipes des MDPH. Celui-ci proposait de minuter très précisément toutes les activités essentielles : les repas, la toilette, les passages au WC… Des tableaux attribuaient 2,5 minutes pour le lavage des dents, deux fois par jour ; 10 minutes pour un petit-déjeuner, dont 3 minutes pour s’installer, 2 minutes pour couper les aliments, 5 minutes pour manger. Pour les déjeuners et dîners, le guide comptait 2 minutes pour boire, 15 minutes pour manger… Il chronométrait aussi cinq transferts aux toilettes par jour. (...)
Ce minutage a évidemment fait scandale. Yves Mallet, de l’association Coordination handicap autonomie, a découvert l’existence de ce guide par hasard, parce qu’il accompagnait lui aussi des personnes handicapées lors des évaluations à domicile. « Ce guide a d’abord été tenu très secret, il n’apparaissait pas sur le site de la CNSA. Je suis tombé dessus car les propos d’une évaluatrice à domicile m’avaient paru curieux. En rentrant, j’avais trouvé ce guide sur le site de la MDPH de l’Isère. Nous sommes alors montés au créneau. » Finalement, en 2017 sort un nouveau guide qui ne fait plus mention du chronométrage des gestes. « Officiellement, le minutage a disparu, mais nous savons que les MDPH l’utilisent encore. » (...)
« Aujourd’hui, à moins d’être très lourdement handicapé, d’avoir besoin de quelqu’un pour tous les actes, 24 heures sur 24, et de connaitre vos droits, vous obtenez un minimum. On organise votre survie pour manger, pisser, dormir, et c’est tout. Quand vous savez vous défendre, vous obtenez plus. Sinon vous avez la portion congrue et vous êtes souvent obligé d’aller en institution spécialisée contre votre volonté. Il y a un état d’esprit qui considère que les gens sont tous des fraudeurs potentiels. » (...)
La seule chose qu’il faut, c’est du personnel en plus (...)
Odile Maurin en est pourtant convaincue : donner des moyens aux personnes pour leur autonomie serait à terme moins couteux pour les finances publiques. « Si les droits duraient plus longtemps, si on avait des systèmes d’évaluation qui fassent vraiment confiance aux gens, le traitement des dossiers prendrait beaucoup moins de temps. Quand on comprendra qu’en favorisant leur autonomie, on permettra peut-être aux gens de mener une vie normale, que le coût du désespoir des personnes handicapées enfermées chez elles sans aide suffisante ou en institution est très élevé, et que c’est en fait plus rentable d’aider les personnes à acquérir des compétences et à avoir une insertion professionnelle ou bénévole, une vie sociale… On est dans un système d’économies à court terme. »
Pour répondre aux délais de traitement toujours plus longs, les MDPH sont en train de mettre en place… un suivi en ligne des dossiers. Pour Yves Mallet, on est loin du compte. « Ce n’est pas du tout la solution. Les personnes ont besoin d’avoir un contact humain direct, pas via un écran. En plus, quand les gens vont sur le site, le message qu’ils reçoivent, et ça peut durer des mois comme ça, c’est "Votre dossier est en cours d’évaluation"… La seule chose qu’il faut, c’est du personnel en plus. »