
Les cadres se font enfler par l’illusion d’être du côté des dominants.
Ils collaborent activement à l’exploitation des employés parce qu’ils s’imaginent ne pas être des prolétaires eux-mêmes. Et les patrons se frottent les mains et entretiennent soigneusement cette confusion : elle leur permet d’avoir des relais serviles et zélés pour mieux presser le travailleur tout en en faisant porter la responsabilité à des sous-fifres clairement identifiables par les exploités.
J’avais déjà écrit sur ce marché de dupes qui utilise l’illusion d’être du bon côté du manche pour faire faire le sale boulot entre dominés.
S’il a un petit pécule et pas mal d’avantages immédiats, le cadre oublie un peu trop facilement que son aisance vient tout de même du salaire et non pas de la rente (même s’il tente de s’en constituer une dans le temps !) et qu’il suffit que le capitaliste lui retire son poste de travail pour que tous ses avantages disparaissent. Il est en fait aussi dépendant que le petit employé des systèmes de solidarité sociale qu’il conchie pourtant abondamment tant il croit être au-dessus de cela, voire en compétition avec des dispositifs qui lui coutent (et entament son rêve de rente), alors qu’en fait, même s’il mettra un peu plus de temps à consommer ses éconocroques, le chômage, ce grand égalisateur par le bas, le remettra forcément à sa place de simple variable d’ajustement.
Exploite-toi toi-même !
La même arnaque est à l’œuvre avec la figure de l’autoentrepreneur, qui s’imagine petit patron et donc précapitaliste, alors qu’en fait, il n’est qu’un auto-exploité et surtout la nouvelle chair à canon de l’économie néolibérale : le sous-traitant isolé, sans aucune espèce d’assise ou de défense, livré tout ficelé aux appétits sans fin des grosses entreprises qui fixent unilatéralement les règles d’un jeu qui ne profite plus qu’à une toute petite poignée d’individus.
Il s’imagine un aigle, alors qu’il n’est que le gros pigeon d’une autofiction, celle qui consiste à faire passer le pire des lumpenprolétaires, le travailleur à façon sorti du monde de Dickens ou de Zola, et marketé proprement pour devenir le prototype du nouveau capitalisme postindustriel. (...)
Les jeunes cadres urbains s’imaginent avoir conquis une nouvelle authenticité, une nouvelle liberté, alors qu’ils ne sont que les pions d’un gigantesque jeu de chaises musicales où il n’y a plus que des perdants. En réalité, il s’agit plus exactement d’une cascade de dominos qui ne parviendra plus trop longtemps à cacher le grand processus de déclassement général qui est à l’œuvre. Il s’agit finalement d’une compétition sans merci pour accéder à des ressources jugées insuffisantes pour satisfaire à la fois les appétits voraces des classes dominantes et la frugalité organisée et toujours grandissante du plus grand nombre.
Et que penser d’une organisation sociale qui investit lourdement dans la formation poussée d’une jeunesse dorée qui finit par venir reluquer les places des recalés du système éducatif ? (...)
notre système économique a lentement glissé ces 40 dernières années d’une promesse de prospérité pour tous à une machine à produire des inégalités de plus en plus profondes et de moins en moins réversibles. Pour ce faire, le journal de référence des intellos d’outre-Atlantique compare le destin de deux femmes concierges noires de grandes entreprises capitalistes puissantes et établies, à 35 ans d’écart.
Dans le premier cas, les conditions sociales du travail de la femme de ménage de Kodak lui ont permis de se soigner, de partir en vacances et surtout de s’instruire. Grâce à ce véritable capital que l’on va qualifier de discret (parce qu’il ne se voit pas du tout sur la fiche de paie), cette femme a eu les moyens concrets d’évoluer dans la hiérarchie sociale et de venir elle-même quelqu’un de la classe supérieure du prolétariat : une cadre.
Dans le deuxième cas, avec un salaire qui a pourtant l’air équivalent sur le compte en banque, la femme de ménage d’Apple… n’est en fait plus femme de ménage d’Apple, l’une des plus grosses concentrations de fortune du monde actuel. Elle n’en est qu’une sous-traitante, sans aucun avantage social : sa vie est difficile, elle ne part pas en vacances, a du mal à se soigner, n’a plus accès à la formation et son seul horizon, c’est de finir dans le même job, avec 50 cents de plus de l’heure.
La différence entre les deux ?
Le cadre légal et social du travail.
Ce que Macron et son gouvernement se proposent de liquider promptement d’ici la fin de ce mois. (...) Le retour d’un monde de caste, d’une société féodale où tout le monde reste bien à sa place sans espoir d’évolution autre que l’intensification de l’exploitation (...)
Une mécanique mise en place à tous les niveaux de la société depuis des décennies et qui commence à donner les résultats escomptés… sauf que ce ne sont pas ceux que l’on vous avait promis pour vous endormir.
Bref, il serait temps qu’on cesse de se faire berner par les imaginaires de droite et que l’on inverse un peu la disposition du champ de balltrap.