
Parce qu’ils n’ont pas de logement, l’espace public est un élément central de la vie des personnes sans abri, qui par ailleurs les définit largement : on parle des « gens de la rue ». Or, l’espace, s’il est public, n’en est pas moins pourvu de normes, de règles formelles et tacites qui régulent les comportements et que les personnes sans abri ont vite fait de transgresser pour usage « anormal » de l’espace. Sans abri, mendiants, errants, ceux qui incarnent la différence, font partie des figures « indésirables » de la ville.
Une tendance semble à cet égard se dessiner dans plusieurs pays d’Europe : celle de chasser les pauvres de l’espace public. La France a vu récemment la multiplication des arrêtés anti-mendicité, et, dans certaines villes, la création d’une interdiction de fouiller dans les poubelles (Nogent-sur-Marne) ; en Grèce, les personnes en rue qui ne respectent pas les normes d’hygiène peuvent être mises en détention et en Hongrie, dormir une nuit en rue est punissable d’une amende de plus de 200 euros, de 60 jours d’emprisonnement en cas de récidive. On observe ainsi un renforcement des mesures répressives attestant d’un traitement policier de la misère. Ces mesures, généralement prises au nom de la sécurité de tous (et « pour le bien des personnes elles-mêmes ! ») assimilent les pauvres à des délinquants, voire à des criminels. Il semblerait qu’on ait choisi de résoudre la question de la pauvreté : comme nettoyer en balayant les poussières sous les canapés [1]. (...)
De manière détournée, ces règlements déclarent presque qu’il est illégal d’être sans abri. Mais si ces règlements ne concernent pas uniquement les personnes sans-abri, certaines villes ou communes ont décidé d’aller plus loin en ciblant directement ceux qu’elles considèrent comme des fauteurs de trouble, et de s’attaquer à la mendicité.
Astuces : À défaut d’interdire, réguler la mendicité (...)
Outre les mesures claires, traduites dans des règlements, limitant l’usage et l’accès des personnes sans abri à l’espace public, il existe des mesures bien connues, plus « douces » mais non moins insidieuses qui limitent de fait l’accès et l’utilisation de l’espace. C’est le cas des reconfigurations du mobilier urbain. Ces mesures, qui incitent au déplacement, sont symboliquement et matériellement tout autant pénalisantes. De cette façon, pénaliser des pratiques est devenu une caractéristique de la géographie des espaces publics. L’essentiel est de mettre en mouvement, ceux qui seraient tentés de « prendre racine ». Ainsi, la rénovation des stations de métro a donné lieu au remplacement des bancs traditionnels par des installations plus « modernes » qui séparent les places sur les bancs empêchant toute possibilité de s’allonger. Il en va également des petites barrières, grilles etc. qui s’apposent à la frontière des lieux fréquemment utilisés. La présence des personnes sans abri sur l’espace public est ainsi pénalisée. Ce type de mesure relève d’une volonté, souvent avouée d’ailleurs, d’épurer les espaces des « indésirables » [9].
Intensification ? À suivre… (...)
Les politiques mises en œuvre montrent à quel point le gouvernement décide de prendre les « problèmes » par les mauvais bouts, en proposant une réponse sécuritaire à un problème social. Ces mesures qui ciblent les plus pauvres sont d’autant plus inefficaces qu’elles sont plus coûteuses que de fournir un hébergement. (...)