Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Reporterre
Les territoires oubliés inventent d’autres façons d’habiter le monde
Article mis en ligne le 5 mai 2019
dernière modification le 4 mai 2019

Les Cévennes, davantage qu’une région, furent la contestation même de la symbolique de l’État nation : terres à la fois d’exil et d’accueil, elles n’ont eu de cesse de s’inventer par ce que certains appellent la résistance.

Des communautés protestantes venues trouver dans les vallées et les cavernes un havre religieux, des enfants juifs cachés dans les auberges de crêtes lorsque l’enfer frappa l’Europe, aux récents néoruraux fuyant les prisons du capitalisme, l’habiter cévenol semble s’être construit autour de la liberté. La liberté de se dédouaner de ce qui parait être établi, la liberté de réinventer les identités individuelles et collectives, la liberté d’écrire soi-même les histoires de sa vie.

Pourtant, les petites cités cévenoles semblent aujourd’hui s’éroder. La liberté disparaît. Les Cévennes ont essayé de suivre à couteau tiré les cycles du progrès. Il y a eu les heures de gloire : celles des industries marchandes du bas pays qui expédiaient tout droit dans la bouche des pays européens l’acier et le charbon. Mais voilà, le monde a changé, les industries ont fermé. L’économie française s’invente aujourd’hui par la compétitivité de ses pôles urbains. Trop ruraux, trop enclavés, les petits pays sont aujourd’hui marqués par la fuite et le chagrin : des lieux marginaux où les opportunités et les espoirs semblent manquer. Les jeunes partent, attirés par la gloire des villes qui s’inventent par l’international. (...)

La marche forcée du progrès est en train de détruire la diversité territoriale

Que l’histoire ne se répète pas ! Il y a cinquante ans, le sociologue Henri Mendras écrivait dans des chapitres poignants La fin des paysans et la dissolution des valeurs sociales que ces derniers portaient. Vivons-nous aujourd’hui la fin des territoires ? (...)

construire l’habiter sur l’accélération, c’est laisser nécessairement sur le bas côté toutes les entités qui ne peuvent ou ne veulent suivre cette vitesse : les villes de vallées qui se méritent par le dédale de petites routes entrelacées, les villages et hameaux où s’inventait une paysannerie solidaire, le front de l’Est qui voit aujourd’hui ses populations partir pour les chaleurs de l’Ouest, les régions forestières périphériques où l’hiver est long et rude. Tous ces petits pays — pourtant magnifiques à qui sait observer — sont aujourd’hui marqués par le sceau de la subalternité. Comment, dès lors, vivre dans un territoire qui nous prive ? Comment vivre dans un territoire où l’absence sacrifie la présence ? (...)

La marche forcée du progrès est en train de détruire la diversité territoriale. Aujourd’hui, les espaces sont dévorés par le béton et les esprits cimentés par l’urbanisation. Les campagnes deviennent des lieux de loisir et de consumérisme pour les proches populations métropolitaines. Les grandes villes dictent leurs lois, centralisent, assassinent, y compris en leur propre sein. (...)

En dehors des vieux centres-ville muséifiés et des petits villages labellisés, la France aux mille territoires est en train de devenir plate comme un champ de betteraves.
Qui sait écouter entend des individus engagés qui se lèvent

Malgré tout, dans les pays les plus reculés des territoires français, des rencontres laissent présager un renouveau extraordinaire. Ces rencontres, ce sont des entrepreneurs assez fous pour miser sur la ruralité, ce sont des artistes qui puisent dans les couleurs des roches les inspirations les plus sincères. Ce sont ceux et celles qui, contre vents et marées, sont restés. Ce sont ceux et celles qui, nageant à contre-courant, sont arrivés des convictions plein la tête. Ces personnes ont un regard qui réinvite la diversité dans la conversation, le regard dur des peuples libres, le regard rempli de savoirs territoriaux. Le regard qui donne davantage d’importance à la santé des anciens noyers qu’aux données statistiques.

Ces rencontres montrent aux quotidiens que les silences campagnards n’ont de cesse d’être habités. Qui sait écouter entend des individus engagés qui se lèvent, bien décidés à brandir de nouveau les emblèmes d’une fierté depuis trop longtemps oubliée. (...)

ces citoyens construisent des montagnes. Ils sont assez comédiens pour déployer des caravanes sillonnant les villages, assez conteurs pour crier à raison que leur pays mérite d’être vécu, assez peintres pour réinventer le tissu paysager dont ils sont les héritiers, assez sages pour construire eux-mêmes des politiques de solidarité. Inventant leur trajectoire de développement, se réappropriant les espaces délaissés de la république, cette énergie citoyenne questionne la place de l’État nation. Ce dernier, dans sa forme actuelle, n’est-il pas dépassé pour penser aujourd’hui un monde juste et libre ? Ces citoyens invitent à réfléchir à de nouveaux agencements territoriaux : (...)

une nouvelle voie de sagesse s’ouvre : celle d’un pays qui pourrait enfin abriter plusieurs pays.