
Accentuant une tendance presque constante constatée au cours de la dernière décennie, la présidence et le gouvernement viennent d’annoncer la suppression d’environ 300 millions de crédits aux collectivités.
La suppression récente de 300 millions d’euros de crédits prévus cette année pour les collectivités locales avive l’inquiétude non seulement sur leurs perspectives financières mais surtout sur le décrochage de pans entiers du territoire, sur fond de décomposition ou de désorganisation des partis politiques aux commandes des assemblées locales.
Outre l’élection du président de la République au suffrage universel direct, l’adoption du quinquennat puis de l’inversion du calendrier électoral, la Ve République –son régime politique– a connu deux axes d’évolution majeure : le processus d’intégration européenne et le processus de décentralisation, opéré en deux temps principaux, du début au mitan des années 1980 (Acte I) puis sous le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin au début des années 2000 (Acte II). Compétences transférées aux collectivités locales, plus grande liberté de gestion, autonomie financière, compétence pour l’organisation des transports ferroviaires régionaux, figurent parmi les évolutions des deux premiers « actes » de la décentralisation.
Trop d’élus locaux ? (...)
Il serait donc faux d’imputer à l’actuelle majorité une pente déjà amorcée depuis les débuts de la crise mais il serait erroné de ne pas voir le risque d’accélération de celle-ci et le décrochage possible de territoires déjà frappés par les mutations économique et la crise.
Techniquement, cette suppression de crédits correspond à la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) et à la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL). Ces millions d’euros supprimés, en autorisations d’engagement comme en crédits de paiement, provoquent évidemment des réactions plus que négatives des associations représentant les élus locaux (Association des maires de France, Association des maires ruraux de France notamment).
Récemment, le président de la République faisait part de son intention de réduire le nombre d’élus locaux, jugés trop nombreux. Parmi les 500.000 élus locaux, une très importante proportion est composée d’élus municipaux de petites communes, le plus souvent non indemnisés ou très faiblement indemnisés. Enfin, la fonction publique territoriale a été fréquemment ciblée et est visée par la « gestion différentiée des différentes fonctions publiques », qui permet de faire porter aux collectivités locales d’éventuelles conséquences de restrictions budgétaires à venir. (...)
Dans La Crise qui vient : la nouvelle fracture territoriale (1), Laurent Davezies pointait les dangers d’une rupture ou d’un tarissement des flux redistributifs financiers entre territoires. Laurent Davezies s’employait à « déglobaliser la crise » en définissant « quatre France » : « une France productive, marchande et dynamique, concentrée dans les plus grandes villes » et qui rassemble environ 36% de la population française, une « France non productive, non marchande et pourtant dynamique » vivant « d’une combinaison de tourisme, de retraites et de salaires publics » qui rassemble 44% de la population, une France « productive, marchande et en difficulté » en déclin et rassemblant 8% de la population et enfin une France « non productive, non marchande et en difficulté ».
La fin de la solidarité territoriale ?
Davezies nous annonce, dans son livre, une « nouvelle phase de l’économie française » dans laquelle les ajustements risquaient d’être particulièrement cruels pour des pans entiers de la société et des territoires français. Tout le système de solidarité entre les territoires était, en 2012, présenté comme ébranlé par une crise dont l’un des effets est de raréfier les fonds publics garants, pendant plusieurs décennies, d’une relative égalité territoriale mais, surtout, d’une progression constante du revenu des ménages sur l’ensemble du pays alors que les revenus tirés du seul travail marchand ne progressaient en fait que dans quelques zones : en Ile-de-France et, dans une moins mesure dans le quart sud-est du pays.
Or, dans nombre de régions, sans la création d’emplois publics, le solde de créations d’emplois aurait été négatif depuis quinze ans. (...)