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Entre les lignes, entre les mots
Les vertus de l’échec
Article mis en ligne le 14 août 2018
dernière modification le 13 août 2018

L’intérêt des échecs est de pousser à en analyser les causes. Or depuis plus de trente ans, nous sommes arc-bouté.es sur la défense des acquis ou de ce que l’on appelle le « modèle social français » pour ne cesser d’aller de reculs en reculs.

Si nous ne voulons pas être conduit.es au renoncement peut-être faut-il déconstruire ce qui est trop souvent présenté comme allant de soi pour le mouvement ouvrier et ouvrir d’autres pistes inédites à explorer. Il ne s’agit pas de la pierre philosophale mais d’exploration et de tâtonnements. La normalité est notamment caractérisée par deux dimensions proposées conjointement : des luttes qui dressent le bilan de ce qui ne va pas et confient la réalisation des solutions à un autre espace, déterminé de manière étanche : le politique et l’attente d’un arbitrage de l’Etat. Outre l’aspect confiscatoire des partis vis-à-vis du mouvement social, cela induit grandement le type d’alternatives imaginées en mettant le corps social en extériorité vis-à-vis du politique.

Social et politique sont dans un bateau… ou l’autonomie du mouvement ouvrier

La culture militante dominante reste très marquée par cette répartition des rôles : aux syndicats et aux associations la protestation et les réclamations ; aux partis et aux élus les décisions politiques. Des expressions sont d’ailleurs très éloquentes. On dit : « les luttes revendicatives doivent trouver un débouché politique ». Mais est-il dans la nature des choses que le syndicat ou l’association, comme dans une course de relai, passe le témoin aux politiques pour les décisions qui touchent à l’organisation de la vie en société ?

Dans cette stratégie, l’objectif est de déléguer la prise du pouvoir d’Etat aux partis pour que ces derniers « satisfassent les demandes des intéressé.es » et « restituent, ensuite, le pouvoir au peuple ». On sait ce qu’il en est. Cette conception délégataire des luttes induit un rapport de subordination entre élu.es et citoyen.nes. Il verrouille de fait l’accès de celles-ci et ceux-ci à l’exercice des décisions politiques au profit des partis et des élu.es qui tendent à devenir des professionnel.les de la politique. La transformation sociale est rendue illusoire, dans la mesure où les intéressé.es ont un rôle marginal de soutien à des acteurs et actrices spécialisé.es. (...)

Il est vrai que des acquis ont été obtenus avec la démarche évoquée plus haut.Mais cela s’est fait au prixd’un malentendu. Jusque dans le milieu des années 70 du siècle dernier, le capitalisme indexait ses profits sur le travail et pouvait faire certaines concessions au mouvement ouvrier sous la pression des luttes. Mais on en a tiré la conclusionque le capitalisme était aménageable et quele mouvement pouvait obtenir des acquis sans remettre en cause le système et sans envisager des choix de société alternatifs. En fait, on peut se demander si la démarche délégataire et la démarche d’aménagement du capitalisme ne sont pas les deux faces historiques d’une même pièce. (...)

Associations, organisations syndicales et mouvements politiques sont donc obligés de choisir entre accompagnement et transformation. Il n’y a plus guère d’espace pour un entre deux ; chacune à leur manière le Brésil, la Grèce ou la Finlande nous en fournissent la démonstration. Rarement l’antagonisme entre exploité.es et exploiteur.ses n’a été si irréductible. (...)

Les luttes sociales n’ont pas pour enjeu seulement la réponse à des besoins urgents, Elles contribuent à une certaine redéfinition du réel : La sécu, les congés maternité, les congés payés apparaissent aujourd’hui comme normaux à tout le monde quelle que soit sa couleur politique. Leur création a pourtant été une plongée vers ce qui n’existait pas, le fruit de luttes sociales, des acquis sociaux arrachés à un patronat pour qui « ce n’était pas possible ».

Le mouvement ouvrier n’a pas toujours suivi une conception délégataire entraînant la dissociation du social et du politique. Il a obtenu ses grandes victoires structurelles dans les moments où il n’a pas délégué l’action politique aux partis, aux élu.es et au patronat et qu’il leur a disputé en actes l’exercice du pouvoir.

Nous en avons un bel exemple avec la création de la Sécurité sociale et des services publics. Quand on parle du programme du CNR, on oublie la démarche qui l’a rendu possible. (...)

la Résistance n’est pas seulement la lutte victorieuse contre l’occupant nazi, mais un grand moment d’exercice du pouvoir et de transformation de la société par et pour le peuple rassemblé. Et le « retour à la normale », auquel une grande partie du mouvement ouvrier a d’ailleurs largement contribué à l’époque, sonne la fin des avancées.

Cette division des taches n’existait pas non plus lors de la Première Internationale dans laquelle se retrouvaient côte à côte et à égalité, des syndicalistes, des associatifs et des politiques… et même une fanfare. Mais cette dimension« autogestionnaire » a été occultée par l’Histoire officielle et cette « omission » contribue à nous maintenir dans l’idée que les exploité.es ne peuvent que déléguer leur pouvoir aux spécialistes de la politique. L’écrasement de la Commune a été confondu avec un échec qui lui aurait été intrinsèque et son héritage abandonné.

Organiser notre classe sociale (...)

Depuis des dizaines d’années, un grand nombre d’associations jouent un rôle considérable dans le mouvement social. Quasiment toutes se sont construites parce que le syndicalisme a abandonné des champs de lutte ou les a ignoré et, de fait, elles font « du syndicalisme » tel que défini ici : associations de chômeurs et chômeuses, pour le droit au logement, de défense des sans-papiers, coordination de travailleurs et travailleuses précaires, etc. D’autres interviennent sur des sujets qui sont pleinement dans le champ syndical : elles sont féministes, antiracistes, écologistes, antifascistes, antisexistes, etc. Se pose aussi la question du lien avec les travailleurs et travailleuses de la terre. Il y a aussi les mouvements anticolonialistes, revendiquant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, antimilitaristes, pacifistes, etc. Tout cela concerne les intérêts et l’avenir de notre classe sociale et c’est de ce point de vue qu’il faut les traiter.

Si nous mettons en avant les mouvements sociaux, c’est parce que ce sont eux qui organisent les luttes, l’action directe des travailleurs et des travailleuses. Parmi ces mouvements, le syndicalisme a une particularité essentielle : comme dit précédemment, il rassemble sur la seule base de l’appartenance à la même classe sociale. C’est fondamental. (...)

Une organisation « syndicale et populaire » qui rassemble tous ces secteurs sur une base de classe et sans les caporaliser, doit être possible. Il n’est évidemment pas question de fixer le cadre préalablement. Mais il nous apparait urgent de s’orienter concrètement vers un projet de ce type : parce qu’il nous parait répondre efficacement aux besoins de la lutte des classes et parce que c’est un moyen de recréer de l’envie, de l’engouement, de l’utopie. (...)