
S’il fallait reconnaître un mérite à la catastrophe annoncée que constitue le réchauffement climatique, c’est celui de rendre inévitablement politique la question de notre environnement et de nos modes de vie. Alors que la tradition universitaire française et probablement mondiale voudrait que seules les sciences sociales se mêlent aux débats de société, de plus en plus de chercheurs en sciences dites « dures » rentrent dans la mêlée.
Nous publions ici une tribune émanant de plusieurs chercheurs participant à un Atelier d’écologique politique, communauté pluridisciplinaire de scientifiques travaillant ou réfléchissant aux multiples aspects liés aux bouleversements écologiques. Dans l’objectif de tisser des liens entre des connaissances dispersées et de réfléchir à la façon de les partager avec l’ensemble de la société, afin d’oeuvrer avec elle aux moyens de réorienter notre trajectoire en changeant en profondeur les modes de fonctionnement socio-économiques actuels.
Astronomes, physiciens, archéologues, historiens et chercheurs en sciences cognitives nous l’annoncent sans détour : le rêve d’une humanité d’immortels « servis et soignés par des robots, buvant des cognac dans des voitures autonomes climatisées en se remémorant avec délice leur dernier voyage en navette spatiale » ne se réalisera pas.
Ils proposent à contrario, de tout reprendre à zéro et de « commencer une nouvelle ère en refusant les technologies qui nous apportent plus d’enfermement que de liberté, en imaginant de nouvelles manières de produire, de nouvelles manières de prendre les décisions qui nous concernent, et de nouvelles manières de communiquer, de voyager, de nous soigner, de mourir, de faire la fête, de travailler et d’apprendre ». (...)
Nous avons le 15 au matin mobilisé notre communauté, celle des chercheur.es et des enseignant.es du supérieur, afin de discuter du positionnement de notre profession face au réchauffement climatique. Et nous étions le 15 après-midi au côté de la jeunesse qui nous interpelle tous.
Le constat
ll y a quelques analyses que nous souhaiterions vous livrer. La première consiste en la réponse à une question très simple, que nombreux.ses parmi vous se sont certainement déjà posée : notre mode de vie actuel est-il compatible avec la lutte contre le réchauffement climatique ? (...)
Notre rêve pourrait être un vrai rêve populaire, réaliste et humble : que l’immense majorité des habitantes et habitants de Notre Terre puissent dans les siècles à venir continuer à se nourrir, se soigner, à rire et à se divertir, sans avoir à quitter leur terre d’attache, et sans que notre Planète ne sombre dans le chaos. Et les navettes spatiales, les robots assistants et les véhicules autonomes ne participent pas à ce rêve ; au contraire, ils l’en éloignent. (...)
Comme le dit Edgar Morin : “Le mot bien-être s’est dégradé en s’identifiant au confort matériel et à la facilité technique que produit notre civilisation. C’est le bien-être des fauteuils profonds, des télécommandes, des vacances polynésiennes, et de l’argent toujours disponible”.
Alors, si nous ne pouvons décemment pas conserver sur le long terme l’ensemble de tout cela, une question complexe reste en suspens : que souhaitons nous conserver de tout le luxe que la civilisation du pétrole nous a donné à connaître, à apprécier et qu’elle a même parfois rendu indispensable pour notre simple vie quotidienne ou notre métier ? (...)
Souhaitons-nous maximiser notre bien-être présent sans trop nous soucier du long terme et de celui de nos descendants ? Quel degré d’inégalité à l’échelle d’un pays ou du monde sommes-nous capables de tolérer ? Que souhaitons-nous garder ? Notre espérance de vie ? Nos capacités à voyager loin et rapidement ? La société numérique ? L’alimentation carnée ? De vastes lieux d’habitation chauffés ? Les denrées exotiques ? Des piscines individuelles ? Vous le voyez, ces questions sont complexes car elles bousculent le confort qui nous semble avoir été acquis après des décennies de progrès. Elles sont en tout cas bien éloignées des questions faussement naïves auxquelles on nous propose de répondre dans le Grand Débat.
Nous ne prendrons qu’un seul exemple, qui nous tient particulièrement à cœur au sein de l’Atelier : celui des voyages en avion. (...)
Le luxe technologique a colonisé notre imaginaire, et nous sommes devenus incapables d’imaginer une autre vie. C’est dire la puissance qu’ont les forces qui nous entraînent vers une seule et même manière de voir les choses.
Deux propositions... pour commencer
Comment sommes-nous arrivés là ? La société dans laquelle nous vivons nous incite à faire toutes ces dépenses luxueuses à travers la publicité (...)
plus que jamais, à l’aube de la catastrophe écologique, refuser ce que la société de surconsommation attend de nous devient un impératif. (...)
Notez bien que nous disons publicité, et pas information. Les informations utiles aux consommateurs peuvent et doivent rester présentes dans les endroits où l’on y accède volontairement. La publicité, qui consiste à imposer une incitation perverse non désirée à surconsommer, doit tout simplement disparaître de nos vies.
Par ailleurs, plus que jamais, la société doit devenir égalitaire car, dans un monde où les ressources et l’énergie vont mécaniquement être amenées à se raréfier, les inégalités vont devenir de plus en plus difficiles à être éthiquement supportables pour les franges les plus aisées, et physiquement supportables pour les franges les plus pauvres. (...)
Les inégalités ne sont pas intrinsèques à la nature humaine, elles sont le résultat d’une culture que nous avons le devoir de remettre en question !
Alors, comment pourrait-on mettre en place un vrai régime égalitaire, qui réponde aux besoins de tous, et empêche l’accumulation de luxe qui gaspille nos précieuses ressources et le futur de notre planète ? Dans certains projets politiques, on parle souvent de limitation des salaires ou de taxation des successions. Ces mesures sont intéressantes mais insuffisantes, car des moyens ont toujours été trouvés pour contourner les politiques de répartition et accumuler de la richesse (...)
Il nous faut proposer un projet politique qui fasse tout simplement perdre son sens à l’accumulation de richesses. Ce que nous proposons ici est différent : il s’agit du contrôle social de la nature de la production. Le système capitaliste repose sur la propriété privée et la liberté d’entreprendre. Nous ne remettons ici nullement en cause la liberté d’entreprendre, mais nous remettons en cause vigoureusement la liberté d’entreprendre, de produire, et de vendre n’importe quoi. (...)
il s’agit de passer à un mode de production par autorisation des citoyens, en considérant tous les aspects que l’introduction d’un nouveau produit a sur l’ensemble de la société et sur les sociétés à venir. Le second principe est que tout produit ou service vendu au grand public doit impérativement pouvoir être acheté par le plus grand monde. Ce faisant, l’accumulation de richesses perdra tout son sens, puisque la richesse ne servira plus.
L’an 01
Alors, à l’heure où nous devons imaginer un nouveau futur, un autre rapport à la technologie, une nouvelle évaluation de nos besoins, nous pouvons nous tourner vers nos prédécesseurs, ceux qui avaient refusé de sacrifier leurs rêves et leur environnement au nom du progrès économique, vers tous ceux qui avaient déjà anticipé, depuis deux cents ans, le pétrin dans lequel nous nous trouvons maintenant ! Et ce, alors même qu’il n’était même pas question de réchauffement climatique. (...)
le système politique et économique actuel, nous le voyons tous les jours, est structurellement incapable de prendre en compte le long terme, et il n’est plus capable de se réformer : il se contente de se protéger et de défendre ses serviteurs, tout en priant qu’une révolution n’ait pas lieu, s’emmurant avec son trésor, un fusil à la main. Il ne s’agit pas d’un problème de personnes. Nous pouvons certes être en désaccord avec M. Macron, mais il n’est que la représentation émergeant naturellement de nos règles et de notre système. Alors, si nous devons mettre fin à quelque chose, c’est plus à notre système actuel qu’à la présidence de Macron.
Ce qu’il adviendra de l’humanité dans les années et les siècles qui viennent n’est pas encore écrit : la réponse dépend de nous, aujourd’hui, car nous vivons un moment unique dans l’histoire. Les commentateur.rices ne peuvent pas dire mieux en disant que nous sommes la première génération à subir les effets du changement climatique, et la dernière à pouvoir le limiter à des niveaux encore tolérables pour le bien-être de nos descendants. Alors peut-être que le 15 mars 2019, l’an 01 a commencé. Le jour où la jeunesse s’est révoltée ! Alors, que le nouvel élan qui souffle aujourd’hui ne s’arrête jamais, et longue vie au mouvement du 15 mars !