
« Désinformation par omission » : ainsi avions-nous qualifié le traitement que BFM-TV et LCI avaient réservé aux manifestations du 21 novembre contre la loi « Sécurité globale ». Qu’en est-il du service public ? Du 15 au 29 novembre, nous avons visionné et écouté deux des tranches d’information les plus suivies sur France 2 et France Inter [1]. Et si les deux journaux n’ont pas fait l’impasse sur le projet de loi et les mobilisations qu’il a suscitées, leur traitement présente plusieurs angles morts.
Dans les deux dernières semaines de novembre, la question de la loi « Sécurité globale » a bien été à l’ordre du jour des journaux d’information de France Inter et de France 2. Mais de quelle manière ? Du 15 au 29 novembre, les journaux de 8h sur la radio publique ont cumulé 3 heures et 52 minutes d’antenne. Sur cette période, la couverture relative à la loi « Sécurité globale » a représenté 14 minutes, soit un peu plus de 6% des journaux au total. Un temps en réalité concentré sur quelques jours : on ne recense par exemple aucun traitement les 22, 23, 24 et 25 novembre – soit les quatre jours ayant suivi la première journée de mobilisation nationale contre cette loi.
Du côté du 20h de France 2, on enregistre sur les deux mêmes semaines une couverture de 46 minutes et 57 secondes, soit environ 8% du temps total des JT (9h48 d’antenne en tout). Là encore, on distingue deux périodes, avant et après l’affaire Michel Zecler le 26 novembre [2]. Les jours précédant cette affaire, le temps consacré à la loi « Sécurité globale » ne dépasse jamais les 3 minutes d’antenne. Du 26 au 29 novembre, on compte une moyenne d’environ huit minutes par soirée. Une durée toutefois loin d’être entièrement dévolue au traitement de la loi « Sécurité globale » en tant que telle, puisqu’elle comprend également la couverture de l’affaire Zecler. Enfin, durant le mois de décembre (non inclus dans notre étude), le temps consacré au projet de loi retombe très rapidement, avoisinant rapidement… le zéro !
Les deux journaux ont donc réservé un temps d’antenne faible en proportion – mais tout de même non négligeable – au projet de loi « Sécurité globale ». Sur le fond en revanche, leur traitement s’est caractérisé par plusieurs angles morts [3].
Focalisation presque exclusive sur l’article 24 (...)
Des présentations bien sympathiques, qui ne feront évidemment jamais l’objet d’une contre-argumentation. Des spécialistes étaient pourtant clairement identifiables, à l’instar de la Quadrature du Net, qui, deux jours plus tard, publiait sur son site une analyse de la loi un tantinet plus inquiète concernant les libertés individuelles…
Onze jours plus tard, le journal d’Inter n’a pas progressé d’un pouce dans sa présentation du projet de loi ! (...)
Une journaliste politique prend la suite, mais ne détaille pas davantage le fond de ces dispositions. L’opposition à ces dernières étant réduite à une singularité des seuls partis de la gauche radicale : « Le NPA, les communistes, la France insoumise considèrent qu’au-delà de l’article 24, l’utilisation de drones, de caméras de surveillance dans des lieux privés, mais aussi le schéma national du maintien de l’ordre, qui n’est pas dans la loi, doivent être retoqués. » Pourquoi ? On n’en saura rien. Ni que bien d’autres collectifs s’y opposent, au premier rang desquels la coordination « StopLoiSécuritéGlobale »… avec laquelle la société des journalistes de France Inter s’est mobilisée.
Que le mouvement social ait (surtout dans un premier temps) lui-même mis l’accent sur l’article 24 ne justifie pas que le reste de la loi soit passé sous silence par les journalistes. Silence qui interroge : routines de travail ? Manque de temps ? Défaut de spécialisation ? Prisme « professionnel » conduisant à focaliser l’attention sur ce qui concerne seulement les journalistes ?
D’autant plus qu’exposer un projet de loi par le menu semble pourtant bel et bien dans les cordes du journal de 8h de France Inter. Le 18/11 par exemple, la rédaction consacre près de quatre minutes aux différents articles du projet de loi sur le « séparatisme » [5]. Un temps que n’atteindra jamais le moindre sujet sur la loi « Sécurité globale » [6]…
La coordination « StopLoiSécuritéGlobale » : inexistante (...)
En tant que telle – c’est-à-dire en tant qu’acteur collectif majeur au sein de la mobilisation – elle ne sera mentionnée dans aucun des 20h de France 2, ni dans aucun des journaux de 8h sur France Inter durant la période observée !
Fâcheux oubli, a fortiori quand des journalistes en sont partie prenante ! Et qui a pour fâcheuse conséquence de fabriquer une vision à la fois distordue et hors-sol de la contestation sociale. Mieux encore : sur ses quinze journaux de 8h, et à la différence de France 2, France Inter réussit l’exploit de ne jamais faire entendre aucun des membres de la Coordination, même à titre individuel !
Nous reviendrons plus largement dans la seconde partie de notre étude sur le traitement qui fut réservé à l’opposition. Mais soulignons d’ores et déjà un fait marquant : l’extrême suivisme des deux rédactions à l’égard de la communication et de l’agenda gouvernementaux implique que ce qui n’est pas abordé (ou ne fait pas l’objet de réactions) dans le camp de la majorité présidentielle n’existe pas. Ainsi, ne seront par exemple à aucun moment mentionnées les inquiétudes du Conseil des droits de l’Homme de l’Onu et de la Commission européenne [7]. Des contributions et prises de positions pourtant non négligeables dans le débat, provenant de surcroît de sources institutionnelles que France 2 ou France Inter n’ont pas pour habitude de dédaigner…
La France ? C’est Paris (...)
Les violences ? Trou noir avant « l’affaire Zecler » (...)
Focalisation quasi exclusive sur l’article 24, parisiano-centrisme, invisibilisation de la coordination « StopLoiSécuritéGlobale », silence sur les violences à l’encontre des journalistes indépendants… Face à un tel bilan, on est en droit de se poser une question simple : mais de quoi les journalistes ont-ils donc bien pu parler ? Suspense… et réponse dans la deuxième partie de notre étude !