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Slate.fr
Lutter contre le mensonge est désormais le principal défi des États-Unis
William Saletan
Article mis en ligne le 30 janvier 2021

Au cours de ma vie, j’ai fait tout le tour de l’échiquier politique. J’étais plutôt de gauche au Texas, plus conservateur à l’université, et maintenant je me situe quelque part au milieu. Pendant tout ce temps, la politique m’apparaissait comme une lutte entre la gauche et la droite. Mais je ne vois plus les choses ainsi. (...)

La présidence de Donald Trump aura révélé une menace bien plus importante : une attaque totale contre le principe même de respect des faits. Auparavant, ce principe était entré dans les mœurs, il allait de soi ; aujourd’hui, nous devons le défendre. Dorénavant, la politique oppose ceux qui sont disposés à respecter les données et ceux qui ne le sont pas.
Je ne suis pas en train de dire que les autres crimes et péchés de Trump –la corruption, le sectarisme, la trahison, les centaines de milliers de morts– n’ont pas d’importance. Ils en ont énormément. Mais ces éléments de son bilan, aussi horribles soient-ils, ne sont pas aussi handicapants que les dégâts qu’il aura causés à notre capacité de délibération. Face aux problèmes que nous devons résoudre –le Covid, l’emploi, les infrastructures, l’immigration, le commerce, la réforme de la police– il y a des tas d’idées qui pourraient unir progressistes et conservateurs.
Sauf que sans accord sur les faits, ou au moins sur une méthode permettant de distinguer les faits des mensonges, nous sommes dans l’impossibilité de nous accorder sur les politiques à mettre en œuvre.
(...)

Ce que Trump a laissé aux États-Unis, c’est une propagande impitoyable, implacable et niant la réalité à une échelle n’ayant d’équivalent que dans les dictatures. Il a prouvé que des dizaines de millions d’Américains pouvaient croire à de tels mensonges et que des milliers d’entre eux étaient capables d’attaquer violemment leur propre gouvernement.
Le président Joe Biden, dans son discours d’investiture, a admis cette menace. « Nous sommes confrontés à une attaque contre la démocratie et la vérité », a-t-il déclaré. Le problème ne se limitant pas à de simples bidouillages de politiques, mais à des affirmations inventées de bout en bout. Chacun de nous, a ajouté Biden, « a le devoir […] de défendre la vérité et de triompher des mensonges »
(...)

il nous faut une norme commune pour juger de ce qui constitue cette vérité. Une norme qui ne peut être la Bible ou la politique identitaire.
Il faut que cette norme soit celle que nous appliquons au quotidien : la preuve.
(...)

C’est ainsi que marche la science. Tandis que des politiciens n’en finissaient plus de se bouffer le nez au sujet du port du masque, des scientifiques allaient rapidement mettre au point des vaccins conçus grâce à des génomes publiés sur internet.
La science a permis de guérir des maladies, faire reculer la mortalité infantile, prolonger la durée de vie en bonne santé, élargir l’accès à l’information et développer de nouvelles technologies énergétiques.
(...)

Pourquoi la science est-elle si efficace ? Parce qu’elle met constamment ses théories à l’épreuve de la réalité. Elle cherche, accepte et apprend de la falsification. (...)

En science, découvrir que l’on a tort n’est pas une défaite. C’est un progrès.
Au yeux des scientifiques, ce processus de test et de réévaluation va de soi.
(...)

Quand des promesses politiques ne sont pas tenues, quand des guerres s’enlisent et se transforment en bourbiers, quand les écoles publiques ne sont pas performantes ou que des réductions d’impôts ne génèrent pas les bénéfices sociaux escomptés, les politiciens inventent des excuses. Ce qui a toujours été un problème, mais qui s’aggrave aujourd’hui. (...)

Si nous n’arrivons pas à maîtriser la situation –si nous ne rétablissons pas une éthique de respect des faits– rien d’autre ne sera résolu. Impossible d’endiguer la pandémie de Covid-19 si des dizaines de millions d’Américains sont persuadés qu’il s’agit d’un canular et refusent de se faire vacciner ou de porter des masques. Impossible de restaurer la confiance du public dans les résultats des élections et de calmer les envies d’insurrection si la moitié de la population refuse de croire aux informations rapportées dans les médias.
Rétablir un consensus sur le respect des faits ne résoudra pas nos débats sur les dépenses, l’éducation ou la justice pénale. Mais sans un tel consensus, la crise dans laquelle nous nous trouvons ne va aller que de mal en pis.
(...)

Dans ce combat, nous avons besoin de toutes les bonnes volontés acceptant de jouer selon les règles de la démocratie délibérative. Tel est donc mon engagement pour les quatre prochaines années, au moins : si vous croyez au règlement des différends par le recours aux preuves, comptez-moi dans votre équipe.