
Hal Far, le principal centre d’hébergement pour migrants à Malte, accueille 1 500 personnes dans des conditions extrêmement précaires. Les résidents qu’InfoMigrants a rencontrés sur place, des hommes seuls comme des familles, se plaignent de mauvais traitements et de discrimination. Reportage.
“Souvent je demande à ma maman si elle ne s’est pas trompée… Est-on vraiment en Europe ? J’ai des doutes car on ne rencontre pas d’Européens et on n’a même pas le droit de sortir quand on veut.” À sept ans, la petite Amina* a déjà des préoccupations d’adulte. Originaire de Côte d’Ivoire, elle est arrivée à Malte avec sa mère et ses sœurs il y a quelques semaines. Comme plusieurs dizaines d’autres demandeurs d’asile, elle vit dans le sud de la petite île européenne au centre de Hal Far, au sein d’anciens bâtiments militaires délabrés, reconvertis depuis en centre d’hébergement pour familles.
Bien que l’équipe d’InfoMigrants n’ait pas été autorisée à entrer dans l’édifice**, plusieurs mères de famille n’ont pas hésité à franchir les hautes grilles du centre pour témoigner de leurs conditions de vie, sous le regard réprobateur des gardiens. “On va probablement payer le fait qu’on vous parle, mais il faut que les gens sachent ce qu’ils se passe ici”, lance Souad, une Soudanaise, résidente du centre. (...)
Installations vétustes, présence de rats et de cafards, manque de nourriture, eau non potable, privation de liberté… Le quotidien des familles est un cauchemar. “Nous devons constamment attendre notre tour pour avoir accès à l’unique salle de bain qui n’a même pas de portes. Quant à la cuisine, on est dix familles à se la partager”, explique Souad qui craint tout particulièrement l’arrivée de l’hiver. "Il n’y a pas de chauffage et on ne peut pas en apporter un sous prétexte de maintenir la sécurité publique. Nous sommes réduits à devoir serrer nos enfants constamment dans nos bras pour les tenir au chaud.” (...)
Pour Fatima, qui se tient aux côtés de Souad, son bébé dans les bras, chaque jour est un combat pour nourrir sa famille (...)
Au moindre écart de conduite, l’État brandit la menace d’une sanction financière, rendant l’ambiance d’autant plus pesante pour les résidents. "Savez-vous que les enfants ici ne peuvent pas jouer quand ils veulent ? Nos petits doivent rester enfermés dans la chambre et ne peuvent sortir qu’à certaines heures de la journée”, raconte Fatima, outrée. “Si on ne respecte pas les heures, on nous les ramène à la chambre et on nous menace de couper l’aide mensuelle.” Fatima et Souad sont, en outre, persuadées d’être victimes de discrimination à cause de leur couleur de peau. Elles affirment notamment que l’administration leur met des bâtons dans les roues pour empêcher la scolarisation à laquelle leurs enfants ont droit, en théorie, à Malte. (...)
“Le racisme dont nous sommes témoins est bien pire que les agressions physiques. Il est vrai que nous ne sommes pas battus ni publiquement insultés, contrairement à ce qui se passe dans les "bâtiments centraux"".
Ces "bâtiments" de Hal Far dont fait état Sunna sont situés à quelques centaines de mètres des structures familiales, ils hébergent principalement les hommes seuls. Une véritable mer de préfabriqués encadrée de hauts murs en pierres et de barbelés au sein desquels survivent 1 500 migrants entassés. Leurs moindres allers et venus sont, comme au centre familial, surveillés étroitement. Les migrants sont notamment soumis à une règle de pointage stricte les obligeant à signer une feuille de présence plusieurs fois par semaine sous peine, là aussi, de voir leur allocation suspendue. (...)
“Il y a des abus et des problèmes de violences envers nous”
À la déception s’ajoute la peur. Plusieurs résidents d’Hal Far rencontrés par InfoMigrants racontent les "abus" des gardiens, et les "problèmes de violences". Hicham, un jeune Soudanais arrivé il y a plus de six mois affirme qu’il y a "deux semaines, un migrant originaire du Moyen-Orient [il a préféré ne pas dévoiler sa nationalité] a été battu et traîné au poste par la police parce qu’il était soupçonné d’avoir bu de l’alcool et d’être un peu saoul. On a de plus en plus peur, des gens essaient de s’échapper, d’autres deviennent fous...” (...)
De nombreux bâtiments abandonnés sont régulièrement investis par les migrants qui ne savent plus où aller. Il y a quelques mois, un propriétaire peu scrupuleux logeait près d’une centaine de migrants dans des étables insalubres qui dormaient à même le sol pour 100€ par mois. Le propriétaire du lieu n’a pas été inquiété par la justice. “Nous avons un vrai problème d’inclusion sociale, de racisme et de xénophobie”, reconnaît Fabrizio Ellul du HCR.