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Paris-Luttes-info
Manif du 22 février à Nantes (3/3) : décryptage d’une stratégie policière et politique
Article mis en ligne le 28 février 2014

Une analyse et une interprétation de la journée du 22 février au regard des témoignages, à la lumière des expériences passées de nos luttes, et des réflexions qu’on peut en retirer pour l’avenir. Par un membre du collectif francilien de soutien à NDDL, qui publie également, à propos cette journée, une chronologie de la répression médiatique et une analyse de la stratégie policière et politique.

Si on analyse le compte-rendu de la journée, rédigé sur la base des témoignages publiés et le retour d’expérience de l’équipe légale du Collectif francilien de soutien NDDL-IDF, on peut se poser plusieurs questions concernant les choix de la préfecture et les évènements qui s’en sont suivis.

L’annonce de la manifestation des mois à l’avance, l’identification connue des organisateurs (ACIPA, Cedpa, COPAIN, etc.) aurait pu motiver la préfecture à prendre contact avec ces derniers bien en amont de la manifestation. Interdire un parcours à la veille de celle-ci ne pouvait que cristalliser les tensions déjà vives dans lutte contre le projet d’aéroport. Le préfet, coutumier des arrêtés d’interdiction absurdes (interdiction de transport de matériaux de construction, interdiction de semer, interdiction de circuler, flics etc.) ajoute au dialogue de sourds qui caractérise la stratégie gouvernementale dans l’imposition de son projet. Attiser la colère la veille d’une manifestation alors qu’on sait qu’elle promet d’être houleuse (les précédentes l’étaient à Nantes en tous cas), n’est en aucun cas un signal d’apaisement.

Verrouiller un quartier lui donne immédiatement des allures de siège, avec les barrières barrant les grandes artères et les forces anti-émeute disposées sur chaque rue d’accès au centre. La présence d’un hélicoptère ne fait qu’ajouter à l’ambiance : les esprits qui auraient pu être à la fête sont plombés par ce vrombissement continu qui emplit les rues et absorbe l’expression émotionnelle de la foule, qu’elle soit colérique ou joyeuse. Créer une telle tension sur toute une manifestation prépare celle-ci à l’éventualité de l’affrontement et de la confrontation tout en attisant ses rancœurs.

Quand ensuite on dispose face à la manifestation, sur une artère initialement prévue au parcours et usuelle des manifestations nantaises, un large mur renforcé de matériel anti-émeute et lourdement gardé, comment ne pas focaliser l’attention dessus, cristalliser les frustrations, colères et revendications des manifestants ? Sur cette barrière qui symbolise l’État de droit auquel tout est permis, sans concessions aucune et en dépit de tout bon sens ? Les murs ont de tout temps symbolisé et incarné la limite de la propriété, la fermeture, l’isolement, la séparation, l’entrave à la liberté de circulation.

Comment dès lors s’étonner qu’un mur qui privatise un espace prétendument public pour préserver la continuité du commerce privé, qui canalise la manifestation et qui obstrue le champ de vision avec un arsenal sécuritaire et visuellement agressif, que ce mur-là va cristalliser les rancœurs et concentrer sur lui la colère bridée ? (...)

L’histoire de la Commune l’a montré : rien ne vaut une grande artère pour ménager des lignes de vue aux tireurs et pour progresser sur un front large et modulable, hostile et fatal aux émeutiers. Rien de nouveau là-dedans en vérité, juste de la stratégie urbaine anti-insurrectionnelle. On ne s’étonne pas que Valls qualifie les affrontements de "guérilla urbaine" puisque c’est dans cette optique qu’on entraîne les gardes mobiles à Saint-Astier, dans des reconstitutions "d’émeutes urbaines".

Ce qui est plus étonnant en revanche, c’est le choix de dégarnir totalement l’îlot Feydeau, l’agence Vinci de la rue de Strasbourg, le Commissariat du Cours Olivier de Clisson, les engins de chantier du Quai de Turenne et de laisser à disposition des manifestants une aussi grande quantité de matériaux de construction. Pour une manifestation annoncée très en avance, on serait tenté de taxer la préfecture d’inconséquence, au regard du fait qu’elle avait suffisamment de craintes pour interdire l’accès du centre-ville. Quant à penser qu’elle ait pu être débordée dans ses prévisions, le millier de policiers lourdement équipés et parfaitement méthodiques qui ont nettoyé l’îlot Feydeau en l’espace de 2 heures suffit à nous laisser penser l’inverse. C’est une véritable armada qui a peigné les rues d’est en ouest aux lanceurs de balle de défense (LBD), Flashballs, lacrymogènes et lances à eau. Si l’avancée était si rapide entre 16h30 et 18h, pourquoi avoir laissé l’îlot Feydeau aux émeutiers durant plus d’une heure [1] ? (...)

Ce qui compte par contre, c’est la peur qui fait peur, celle qui fait vendre de la sécurité, fait des images terrifiantes à diffuser dans les médias : dans un champ d’objectifs photo et vidéo, on ne perçoit jamais la réalité qu’à travers une lucarne subjective. Au-delà du regard sensationnaliste du journaliste qui va se concentrer sur le feu, le sang et les cris en ignorant tout environnement plus nuancé autour de lui, c’est la perception du téléspectateur, du lecteur de presse qui est conditionnée. Elle l’est par l’émotion suscitée au travers du spectacle de l’image et la force des mots-choc : déployer des barrières, des canons, des gardes mobiles, ça vend à la fois de la peur et de la sécurité ; Nantes sous verrouillage policier prépare à l’image de Nantes ravagée, incendiée et affligée : quand la ville se découvre la veille dans un étau policier qui l’angoisse, le surlendemain on la conforte avec les images qui justifient cette débauche de moyens répressifs, elle a besoin de flammes, de blessés, de cendres et de nuages de gaz dans lesquels s’ébauchent des silhouettes fantasmagoriques d’émeutiers masqués et casqués, armés de pavés. (...)

On évacue la question de la raison de l’émeute, sa nature, sa diversité, ses visages, au travers une figure de l’ennemi incarnée dans le black bloc, l’anarchisme radical situé à l’ultra-gauche d’on ne sait quoi, et issu d’un lieu imaginaire, étranger, marginal, hostile : l’ anarcho-autonomie. Pourtant l’émeutier de samedi avait de nombreux visages : le pavé n’a besoin que de la rancœur, la colère ou l’occasion pour s’exprimer, il n’a pas toujours de parti, d’affiliation ou de préméditation, il est le prolongement spontané d’une colère. (...)

Pourtant à Kiev, c’est l’image magnifiée de l’émeutier qui est mise en avant dans l’œil des médias. Il y a dans l’émeute une distinction qui est faite entre la bonne et mauvaise émeute, la bonne étant bien entendu celle qui appelle la démocratie de ses vœux et non celle qui met à jour son visage autoritaire. Parce que ces opérations policières brutales, qui ne font plus la distinction entre l’émeutier et les autres manifestants, gazant et tirant sur les uns et les autres avec la même violence, n’évoquent en rien le fameux "état de droit" dont elles se veulent le fer de lance.
Pas plus que les procès expéditifs qui suivent ne sont le reflet d’une justice pesée et proportionnée (...)

Face à une position unitaire qui ne prête pas l’oreille aux tentatives de division des manifestants, le préfet n’a d’autre option que de décrédibiliser l’ensemble de la manifestation et de désigner les organisateurs de la manifestation comme la "vitrine institutionnelle d’un mouvement armé". On retrouve la notion de mouvance, chère à la rhétorique de feu Alliot-Marie, dans les heures de gloire de la lutte anti-terroriste engagée par Sarkozy. (...)

Il est plus facile de justifier qu’on a tiré sur un mouvement armé que d’expliquer de la blessure d’un jeune charpentier qui ne portait ni cagoule ni bâton au moment où il a reçu un tir de LBD dans l’œil. Quand le manifestant a un visage et quand ce visage sympathique nous apparaît meurtri, on ne peut plus faire valoir le nécessaire usage de la force (...)

13 personnes ont été touchées au visage (oreille qui saigne, nez et mâchoire fracturés, œil perdu, 4 hématomes aux yeux et des impacts à l’arrière du crâne). L’argument ayant prévalu à l’instauration du LDB était le fait qu’il serait équipé d’une visée et éviterait les tirs au visage dont le flashball était tenu responsable. C’est un argument mis en avant dans sa plainte par Pierre Douillard, un jeune nantais ayant perdu son œil des suites d’un tir de LBD (en test en 2007) : ce qui est visé est touché et inversement ce qui est touché a été visé délibérément. Avec une arme de précision, un entraînement au tir et un ajustement de la visée dans une situation stable, le tir à la tête n’est pas une erreur mais une intention.

Parallèlement les grenades de désencerclement et GLI-F4 à effet sonore qui ont occasionné de très nombreux dégats et la perte d’un œil lors de la mobilisation anti-THT à Montabot en 2012, ont à nouveau blessé plusieurs personnes, dont le journaliste de Rennes TV. (...)