
Lundi, elle a encore perdu un ami, Bassel Shahade, tué à Homs. Dans la lutte qu’elle mène depuis la France contre la dictature syrienne, Mariah, pourtant, croit toujours aux armes de la non-violence, plus efficace à ses yeux et conforme à sa foi musulmane.
Quand Mariah arrive pour nous raconter son parcours, on est un peu surpris par la douceur qu’elle dégage. Elle est sur la réserve. On peut lire sur son visage, enserré dans un foulard beige et rose pêche, une certaine appréhension. Sa voix, à peine perceptible pendant les premiers échanges, s’affirme rapidement. On devine la force qui l’habite quand elle parle de son combat non-violent contre la dictature de son pays. (...)
Ces injustices du quotidien - elle en a pris conscience depuis - façonnent enfants et adolescents dans une culture de la peur dont il sera bien difficile de se débarrasser à l’âge adulte. « Cela devient normal et on apprend à l’accepter. On s’habitue à subir. On apprend à trouver normal de faire telle ou telle chose pour arriver à ce que l’on veut. Cela aide à nous transformer en petit dictateur. »" La peur s’insinue dans les esprits et les formate : « Raconter des blagues sur le président était inimaginable. Même en France, je n’osais pas le faire, j’avais peur qu’on m’écoute. »
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Elle lit beaucoup, participe à des rencontres sur la question des femmes ou de la renaissance des idées religieuses, débat, réfléchit :" « J’étais loin de penser à un changement de régime ou alors… dans vingt ans ! Je trouvais plus important de faire évoluer les mentalités. Je ne pensais pas qu’un jour, je devrais appliquer toutes ces idées sur le terrain. » (...)
Mariah intègre le Mouvement Syrien de la Non-violence. « Fin avril, les Syriens ne demandaient pas la chute du régime mais un peu plus de dignité. Ils étaient habitué à l’injustice. Plutôt jeunes, les manifestants n’avaient pas connu les massacres perpétrés par le père, Hafez El Assad, dans les années 80. Les plus âgés, eux, savaient quel était le prix à payer si on agissait. »"
Appartenir au Mouvement Non-violent, certains en font une question d’éthique ; pour d’autres, dont Mariah, c’est d’abord une question de stratégie. Face à un régime armé, une autre réponse s’impose. " « En août 2011, quand il y a eu des défections dans l’armée syrienne, le Mouvement a appelé ces militaires à déposer leurs armes. On a constaté depuis que là où l’Armée Libre intervenait de façon violente pour protéger les manifestants, là se faisaient les attaques les plus fortes contre les civils. »
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Des membres du Mouvement ont été interpellés et on ne sait pas où ils sont. « Ceux qui en sortent ont un énorme travail de reconstruction à faire tant la torture est insoutenable », dit Mariah après un long silence qu’elle peuple d’images, celles du caricaturiste dont on a cassé les doigts ou de cette psychiatre privée de parole. (...)
Mariah avoue qu’ils ont manqué de temps de préparation et « on en paie le prix aujourd’hui : on n’a pas cru que la population syrienne allait exploser à ce point. » Il est vrai aussi que le régime a toujours privé les Syriens de la liberté d’association : il n’existait pas d’organisations sauf celles créées par le pouvoir.
Elle pourrait presqu’en rire, Mariah, tellement cela semble ridicule : « Même pour un mariage, il fallait obtenir une permission de rassemblement ! (...)
« Pour moi, la non-violence, c’est avoir le courage de dire "non". Quand je sors avec une arme, mes voisins subissent ce moyen que j’ai choisi. Quand je sors sans arme, ils peuvent participer car il n’y a pas besoin de savoir tirer. Ils savent que je refuse ce qui se passe et que j’ai quelque chose à dire. »
Silence. Elle lève la tête, le visage rayonnant : « Je ne pensais pas qu’il y allait y avoir toute cette force dans mon pays. J’en suis très fière. »