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Marseille : Occupy la psychiatrie
Article mis en ligne le 30 novembre 2016

Récemment encore, ils étaient condamnés à la rue ou aux foyers d’accueil, exclus par une société rechignant à prendre en charge leurs troubles psychiatriques. Depuis août 2015, la trentaine d’habitants du 3 rue Socrate cohabite dans un bâtiment réquisitionné par l’association Marabout, en plein centre-ville de Marseille.

(...) Récemment encore, ils étaient condamnés à la rue ou aux foyers d’accueil, exclus par une société rechignant à prendre en charge leurs troubles psychiatriques. Depuis août 2015, la trentaine d’habitants du 3 rue Socrate cohabite dans un bâtiment réquisitionné par l’association Marabout, en plein centre-ville de Marseille. (...)

Babel en la Cité
S’il est logé ici, Marcel, c’est qu’il en a bavé, abonné aux galères. Surtout, il souffre de troubles psychiatriques lourds, « débloquerait » probablement sans ses médocs. Il n’est pas le seul. Au 3 rue Socrate, beaucoup sont dans le même cas, chacun chargé de son histoire. Il y a des solitaires comme Marcel, ou bien François, musicien affable tout juste sorti de la rue et qu’accompagne invariablement une vieille chienne au regard triste. Il y a ces deux jeunes touchants que les autres surnomment « Tartine » et « Beurre », pour des raisons mystérieuses. Il y a le très costaud Éric aux bras couturés de cicatrices et sa jeune femme, enceinte de quelques mois. Et puis il y a les familles qui malgré la précarité élèvent leurs enfants du mieux qu’elle peuvent – tous sont scolarisés. Au fil des étages, il y a des Albanais, des Serbes, des Algériens. Babel and co.

Tous ont encaissé des tuiles à répétition. Parfois la rue, d’autres fois des hébergements d’urgence mal adaptés, ou bien l’hôpital psychiatrique pour des périodes plus ou moins longues. Dans ce squat supervisé par des travailleurs sociaux [1], ils ont trouvé un refuge, un endroit où souffler. Si tout n’est pas parfait, si parfois la cohabitation déraille, si en ce mois d’octobre l’eau chaude fait temporairement défaut, ils y sont attachés. Bien sûr, il arrive que l’ambiance soit tendue, certains habitants se révélant plus ou moins impliqués dans la vie commune, d’autres « pétant les plombs » à l’occasion, mais cela finit généralement par s’arranger, à l’huile de coude et au postillon.

Thérapie par l’autonomie

C’est en août 2015 que le lieu a été ouvert par quelques bonnes volontés, notamment rassemblées dans l’association le Marabout du 46. Des gens estimant qu’il est scandaleux de ne pas profiter des bâtiments abandonnés pour y loger les condamnés à la rue, quitte à les installer illégalement. (...)

Doté de trois étages et 17 chambres, alors ouvert à tous les vents, le bâtiment a été minutieusement choisi par les chasseurs de squat aux commandes. Ces derniers se sont ensuite en partie effacés, laissant aux habitants le soin de gérer les lieux, en autogestion.

C’est ainsi que des vocations ont émergé. À l’image de Momo : celui qui fut chanteur de raï en Algérie veille à la tranquillité du bâtiment pendant la nuit et a pris une place primordiale dans le collectif. Il n’est pas le seul. Éric veille lui aussi au grain nocturne, Fatiah multiplie les couscous collectifs, François se propose de tenir à jour la trésorerie [2], etc. Chacun sa manière de s’impliquer, selon ses envies et capacités.

Et c’est bien de cela dont il était question dès l’ouverture du 3 rue Socrate : offrir une certaine autonomie aux habitants, les laisser se débrouiller pour les affaires de la vie courante, ne s’immiscer qu’à l’occasion, quand il y a des problèmes à régler, des situations qui dérapent, des urgences juridiques ou médicales [3]. Un « squat thérapeutique », dont Vincent, psychiatre et coordinateur du programme MARSS, résume l’approche ainsi : « L’idée, c’est de reprendre cette notion américaine d’“empowerement”, que les personnes logées ici puissent d’elles-mêmes trouver les solutions aux impasses qu’elles ont connues. » (...)

Horizon expulsion ?
Si l’expérience est concluante, elle n’en reste pas moins menacée. Les propriétaires du bâtiment multiplient les démarches judiciaires et les menaces d’expulsion se succèdent, dont une ordonnance de référé datée de juin 2016. Conséquence : les habitants ne sont pas sûrs de passer l’hiver au chaud.
(...)

Une certitude : le lieu est en sursis, à plus ou moins long terme. Triste constat, qu’adoucit cependant cette autre certitude : les logements vides ne manquent pas. Ni les bonnes volontés.