Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Gisti
Mayotte, terre d’émigration massive
Antoine Math chercheur, Institut de recherches économiques et sociales (Ires)
Article mis en ligne le 23 mars 2013
dernière modification le 19 mars 2013

«  Le problème de Mayotte, c’est l’immigration massive.  » Cette antienne répétée à l’envi par les médias et les responsables politiques de l’île pour expliquer sa situation difficile et les mauvaises conditions de vie de ses habitants ne résiste pas à une analyse sérieuse. Et si le problème de Mayotte n’était pas tant l’immigration que l’émigration  ?

Dans les médias métropolitains, Mayotte est un sujet à la mode. Les reportages se caractérisent par une forte compassion face aux situations humaines dramatiques mais ils sont aussi très superficiels, masquant une certaine paresse, ce qu’attestent d’ailleurs de nombreuses erreurs factuelles. Ils reprennent les clichés habituels soufflés par les responsables politiques et hauts fonctionnaires métropolitains quant aux raisons de la situation difficile de l’île. Sans se pencher sérieusement sur la situation réelle, ils ressassent toujours le même refrain  : le problème de Mayotte, le problème à Mayotte, c’est l’immigration, évidemment qualifiée de massive. Le Monde qui a consacré récemment une enquête sur Mayotte, en offre une nouvelle illustration [1]. Annoncé en première page par un «  Mayotte submergée par les migrants  », le dossier se poursuit par un article «  La catastrophe migratoire à Mayotte  » résumant le fil conducteur suivi par la journaliste. Dès sa parution, ce dossier a fait le miel des sites et blogs d’extrême droite car Mayotte concentre toutes ses phobies  : l’immigration et une île peuplée de musulmans, noirs, «  polygames  », pauvres, assistés, coûteux…

Dans la presse hexagonale, les Mahorais – les habitants de Mayotte ayant une carte d’identité française – sont la plupart du temps largement ignorés. Quand les reportages parlent des conditions de vie effroyables, de la pauvreté, des bidonvilles, c’est pour indiquer ou laisser entendre, contre toute évidence, que c’est le lot des seuls immigrés comoriens, voire des seuls «  clandestins  », que cette situation est finalement le résultat, pour ne pas dire la faute, de l’immigration. Or une majorité des Mahorais partagent aussi ces mauvaises conditions de vie, et ce, depuis très longtemps. (...)

Rappelons que dans cette île où, selon l’Insee, 92 % de la population vit sous le seuil de pauvreté métropolitain alors que le coût de la vie y est plus élevé, le niveau de vie moyen des Français nés à Mayotte (les Mahorais) est de 290 euros mensuels seulement (190 euros pour les étrangers) quand celui des Français non originaires de Mayotte est d’un montant «  métropolitain  », près de cinq fois supérieur [2]. Et si la presse parle des Mahorais, c’est en général pour évoquer la seule minorité relativement plus aisée, celle des élites dirigeantes, élus et fonctionnaires locaux mêlés, présentées comme responsables de nombreux dysfonctionnements. Il est en effet parfois difficile de faire des immigrés comoriens la seule cause de tous les maux. Il ressort en définitive qu’à Mayotte, tous les habitants, Comoriens et Mahorais, posent problème, sauf les métropolitains envoyés sur l’île et notamment ceux qui dirigent les administrations. (...)

pas un mot ou presque n’est dit sur cette émigration, pourtant environ deux fois plus importante que l’immigration, signe d’un profond malaise et de problèmes économiques et sociaux qui ont peu à voir avec l’immigration.

Le mouvement social massif qui a paralysé l’île pendant deux mois à l’automne 2011, autre sujet passé sous silence ou présenté comme une convulsion assez irrationnelle, est pourtant significatif [4]. Les grévistes, manifestants et syndicalistes ne s’y sont alors pas trompés : à aucun moment, l’immigration n’a été présentée comme un problème par les habitants mobilisés, ce qui contrastait avec l’habitude prise depuis des années par les décideurs nationaux et locaux de désigner les étrangers comme de faciles boucs émissaires, comme pour mieux masquer leurs propres défaillances face aux aspirations de la population locale. (...)


Désigner le Comorien comme bouc émissaire de tous les maux permet de détourner l’attention des problèmes économiques et sociaux de l’île, des carences de l’État social, des discriminations systémiques
, etc. La presse hexagonale participe de cette opération en relayant les clichés vendeurs sur l’immigration, présentée comme une «  catastrophe  ». Ainsi, les souffrances sociales vécues par la grande majorité des Mahorais restent ignorées, les aspirations des habitants de l’île sont passées sous silence, ce qui permet aux décisions les concernant de pouvoir continuer à se prendre loin d’eux, sans eu