
On a parlé de « vague », de « mouvement », voire de « révolution ». On a pronostiqué que rien de serait plus comme avant. Que les rapports de séduction allaient évoluer vers plus d’égalité. Que les femmes, débarrassées de la crainte d’être emmerdées ou agressées, allaient être plus fortes, plus belles, dans leur liberté assumée. Que les hommes, délestés du poids d’une virilité toxique, stéréotypée, obligée, pourraient enfin se livrer à leurs émotions, toutes leurs émotions, et leurs envies, sans crainte d’être jugés « efféminés » –entendre : faibles, inférieurs. Apprécier d’être séduits, à leur tour, dans un équilibre des personnalités plus que des genres. En sortant des faux dilemmes et des oppositions construites. Et sans mimer une violence qui enferme.
Et puis, il y a eu la contre-révolution. Le « backlash », comme le nomment les féministes. Ce retour de bâton que sonnait la tribune des 100 femmes, en faveur de la « liberté d’importuner ». (...)
Un an après, il est difficile de mesurer précisément les fruits de #MeToo auprès de ceux dont on attend principalement une évolution, c’est-à-dire : les hommes. Mais en épluchant les sondages existants, et en interrogeant des experts, expertes, et des anonymes, on peut essayer de dresser un bilan.
Une prise de conscience
D’abord, c’est un fait, #MeToo a été bien reçu par la très grande majorité des hommes. Et c’est sans doute ce qui fait sa force. Plusieurs sondages en attestent. (...)
Mieux : une partie des hommes (16%) disent, dans un troisième sondage, que #MeToo a changé la façon dont ils perçoivent la question du harcèlement sexuel (...)
Et puis il y a d’autres indices, imperceptibles. J’ai lancé avec mes comptes Twitter et Facebook un appel à témoignages pour cet article : je crois n’avoir tout bonnement jamais reçu autant de messages. (...)
" Avant le mouvement, j’aurais pu laisser passer une blague grivoise, une remarque sur une tenue. J’aurais sans doute pu continuer de tolérer ce supérieur hiérarchique à l’attitude trop souvent déplacée à l’encontre d’une collègue. J’aurais également pu poursuivre ma route sans connaître toutes ces histoires poignantes qui en disent tout aussi long sur les victimes que sur les hommes de ce siècle. J’aurais pu. Mais c’est fini. » (...)
« Je me sentais responsable en tant qu’homme, de ce regard qu’on pourrait appeler le regard de la sexualité weinsteinienne. La sexualité weinsteinienne nous regarde tous depuis le néolithique »
Raphaël Liogier (...) Le philosophe Raphaël Liogier a été si profondément bouleversé, qu’il en a fait un livre, Descente au cœur du mâle : de quoi #METOO est-il le nom ?
Cette révélation ne touche pas que les hommes hétérosexuels : « C’est là où, pour moi, Me Too a changé en profondeur ma vision des enjeux d’égalité, c’est qu’il m’a permis de vraiment comprendre que les LGBTphobies étaient un symptôme, et que la cause profonde des violences et des inégalités tenait aux enjeux liés au genre », explique par exemple Franck Aubry, 26 ans, chargé de mission.
Le passé à la moulinette
Cette prise de conscience a eu, chez certains hommes, un premier effet concret : ils ont, pour beaucoup, revisité leur passé. (...)
Une fois le regard porté sur soi, et la prise de conscience amorcée, certains se sont montrés beaucoup plus attentifs à ce qui se passait autour d’eux(...)
À défaut (ou en plus) d’agir sur les autres, on peut essayer de se pencher sur soi-même. Cela paraît le plus évident, et pourtant, c’est le chemin le plus difficile. « Nul n’est plus que soi-même étranger à soi-même », dit Nietzsche. Difficile de s’observer soi-même de l’extérieur en toute objectivité. Et encore plus difficile de se faire prendre à soi de nouvelles habitudes, quand celles-ci sont installées depuis des années, voire des décennies (des millénaires, à l’échelle d’une civilisation…). (...)
- 27% des hommes admettent que la libération de la parole des femmes a modifié leur façon de les aborder. (dans un sondage Ipsos mené en décembre 2017 pour le magazine GQ, et publié en février)
- 39% affirment faire « plus attention à leurs propos et à leur attitude envers les femmes ». (Dans un autre sondage du même institut, mené pour pour Questions Directes, en mars)
- Et même 48% des moins de 35 ans. Presque la moitié des hommes de cette catégorie d’âge, celle qui construira la société de demain !
- Dans les témoignages que j’ai reçus, ces efforts sont également exprimés (...)
Dans l’espace public (la rue, notamment), 8% des hommes disent avoir changé la façon dont ils se comportent, et même 12% pour les moins de 35 ans (...)
Et les autres hommes, ils changent ?
Pour nuancer le tableau, il faut ajouter que pour certains, #MeToo n’a été qu’un accélérateur : « Comme je suis féministe dans un milieu souvent acquis à la cause des femmes, parler du harcèlement n’est pas nouveau pour moi, mais il est certain que cette discussion autour de ce thème s’est accentué en soirée », raconte par exemple Christian.
Mais surtout, dès qu’on les interroge sur leur entourage, le constat devient beaucoup plus pessimiste : « Je n’ai absolument pas remarqué de changement, d’évolution, sur ces sujets, qui serait à la mesure de la petite révolution qui avait été annoncée », estime Thomas*, 35 ans, intermittent. « Les bourrins machos restent des bourrins machos encore plus frustrés peut être », résume Christian. (...)
L’impression domine donc que dans la vaste majorité des entreprises, il n’y a pas eu de changement positif. Mais en même temps, tout le monde n’est pas aussi observateur, ni là au bon moment. Si seuls 30 à 40% des hommes affirment avoir changé leurs comportements, il n’est pas illogique que 20% seulement s’en rendent compte...
Le réveil de certaines peurs
Et ce constat pessimiste s’explique aussi parce qu’à côté des changements encourageants cités plus hauts, on note aussi un certain désarroi. Le sentiment d’être paumé, de ne plus savoir comment s’y prendre. Une crainte de heurter qui peut se traduire par une forme de paralysie (...)
« Il y a un trouble masculin que je ne conteste pas, mais il n’est pas nouveau. C’est un très ancien discours qui n’a pas attendu les conquêtes féministes et encore moins #MeToo »
Olivia Gazalé, autrice du livre Le Mythe de la virilité
Ce sentiment d’être paumé est parfois exprimé sous l’expression de « crise de la masculinité » ou de « crise de la virilité ». Un sentiment, rappelle Olivia Gazalé, autrice du livre Le Mythe de la virilité, qui est loin d’être le produit de notre époque (...)
À côté de ce sentiment de perte de repères, parfois diffus et confus, existe aussi une crainte beaucoup plus précise, et lancinante : celle d’être accusé injustement. Une peur qui relativise le sens des sondages précédents, de ces hommes qui disent faire « plus attention », sans qu’on sache s’il s’agit là de bienveillance nouvelle ou d’une façon d’éviter les ennuis.
« Les hommes sont plus attentifs car ils ont l’impression d’être dans le collimateur », estime Raphaël Liogier, qui est professeur des universités à l’IEP d’Aix-en-Provence et au Collège international de philosophie de Paris. (...)
Les dénonciations calomnieuses ont peut-être existé pendant #MeToo. Mais, rappelle Raphaël Liogier, très peu de noms ont été donnés. L’immense majorité des témoignages était anonymisée, et mettait l’accent sur le récit de scènes vécues plutôt que sur l’envie de pointer untel. (...)
« La fin de l’empire masculin, ce n’est pas le cas du tout », résume Mélanie Gourarier, anthropologue et autrice du livre Alpha Mâle, séduire les femmes pour s’apprécier entre hommes, sur la « communauté de la séduction ». « Des centaines de milliers de femmes sont sorties de leur silence, c’est une vraie révolution. Mais pour les hommes les transformations vont être lentes et sont loins d’être intégrées. »