
Un militant jugé pour un refus de prélèvement ADN, cela n’a, a priori, plus rien d’exceptionnel.
Mais quand ce militant est poursuivi à trois reprises pour le même refus, elle n’a pourtant plus rien d’ordinaire.
L’affaire de Jean-Charles est une première depuis l’instauration du Fichier National des Empreintes Génétiques (le FNAEG), et pourrait bien marquer le point de bascule de son utilisation vers le délit continu.
Jean-Charles est militant depuis 30 ans. Pacifique et pacifiste… et antinucléaire.
En 2006, il participe avec quelques camarades à la création du collectif NON au M51. Ensemble, ils dénoncent la violation du Traité de Non Prolifération (le TNP) par la France à travers son programme de renouvellement d’arsenal nucléaire : organisation de festivals (Peace and Landes), lâchés de ballons métallisés, inspections citoyennes,… Et c’est encore pour dénoncer cette violation du traité que les membres du collectif occupent le Centre d’Essais de Lancement de Missiles de Biscarrosse en Décembre 2009 alors que s’ouvrent les créneaux du premier tir d’essai depuis le sous-marin Le Terrible. Pour cette dernière action de désobéissance civile non violente, les membres du collectif sont d’ailleurs jugés à Mont de Marsan, reconnus coupables… mais exemptés de peine.
« On n’avait rien cassé, alors la justice était bien obligée de nous écouter. On a chacun pu faire passer notre message et expliquer que la France ne respecte pas le traité de non-prolifération. »
Ecoutés, et entendus ! Car l’action est reprise par l’AFP. Et le journal SUD-OUEST, dans son article sur l’affaire, ne manque pas de citer « un flic des RG qui semble bien connaître l’animal : « Ce sont des militants pacifistes, rien à voir avec des terroristes ». »(1)
Mais l’état ne semble pas avoir la même définition du terrorisme que ses services de renseignements. Et pour les institutions politiques militaires et nucléaires, Jean-Charles devient l’homme qu’il faut faire taire. En 2013, La France planifie un nouveau tir d’essai et cette fois ci n’oublie pas la contestation. Personne ne doit être en mesure de dénoncer quoi que ce soit, encore moins devant un tribunal et des médias. Il faut penser le piège.
Perquisition, saisie, audition et… prélèvement ADN.
Un prélèvement ADN ne peut être effectué sans l’accord de la personne, refuser est un droit… Mais c’est un droit coupable, passible d’une condamnation, jusqu’à 1 an d’emprisonnement et 15 000€ d’amende. Jean-Charles ne l’ignore pas, mais il n’ignore pas non plus les risques que représente un fichage à grande échelle de la population. Car comme l’explique Catherine Bourgain, généticienne à l’INSERM, « quand les parlementaires ont voté la création du fichier en 1998, il ne devait servir qu’à identifier les gens, les segments d’ADN conservés étant considérés comme non-codants (…). Mais on se rend compte aujourd’hui qu’on ignorait simplement à quoi ils servaient, et qu’ils peuvent avoir un rôle particulier. Des chercheurs européens ont mis au point un logiciel qui permet de déterminer, à partir des segments ADN prélevés pour le Fnaeg, l’origine géographique de la personne. Et on peut très bien découvrir prochainement que les segments fichés dans le Fnaeg donnent accès à de nouvelles informations. » (2)
A l’issue de cette première procédure, Jean-Charles est condamné pour détention de cannabis et refus de prélèvement ADN à une peine de 6 mois de prison avec sursis, 18 mois de mise à l’épreuve, une interdiction de quitter le territoire et une obligation de soins.
Lorsqu’enfin l’état major arrête la date du 15 mai 2013 pour le 2e tir d’essai, il n’y a plus qu’à enclencher la machine.
Alors qu’il applique scrupuleusement les termes de sa première condamnation, Jean-Charles est convoqué à la gendarmerie 3 semaines avant le tir pour une audition libre au cours de laquelle il refuse de nouveau un prélèvement. La date de son nouveau procès est fixée 3 semaines après le tir (soit le 6 juin).
A l’issue de cette deuxième procédure, Jean-Charles écope d’une peine supplémentaire de 30 jours amende à 10€ pour refus de prélèvement ADN.
Le tir d’essai, lui, se solde par un échec à 120 millions d’euro, le missile explosant en plein vol.
Un répit de bien courte durée
Cette fois, Jean-Charles pense en avoir fini avec cette histoire d’ADN pour laquelle il a déjà été condamné 2 fois. Récemment licencié, il entreprend des formations, se lance dans la production de kombucha, fait des projets… mais le répit sera de courte durée.
« Le refus de prélèvement ADN est un délit qu’aucune peine ni condamnation ne vient éteindre (contrairement, par exemple, au crime contre l’humanité). Condamné pour un refus, on peut vous réclamer ce prélèvement à vie. Jusqu’à présent, dans le milieu militant, les gens n’étaient plus poursuivis au-delà de 2 condamnations. Mais il semble que, désormais, le délit continu soit devenu une réalité. »
Car pas question pour l’état major de rester sur l’échec du dernier tir, il faut en refaire un, vite, vraisemblablement avant la fin de l’année (3)… et encore une fois, écarter la protestation… Mais la mécanique est déjà bien rodée.
« Je sais maintenant que j’ai un drone braqué sur moi, comme d’autres ami/e/s ou camarades en ont un aussi et qu’il se mettra en action chaque fois que je serai susceptible de bouger. Aujourd’hui le M51, demain la visite de Valls à un comice agricole. Et comme je suis assez multicarte, entre les sommets G8 ou Otan, la Palestine, la lutte contre les multinationales mortifères...
Je n’ai jamais pris conscience que pour l’adversaire je représentais réellement une menace sérieuse, que c’est de cette façon qu’il me voyait. Ça me faisait sourire. C’était un jeu, avec des règles. Mais il n’y a jamais eu de règles ! Les maîtres du jeu peuvent les changer n’importe quand. Parce que, franchement, qu’est ce que je représente ? »
Le 9 Novembre 2013, 5 mois à peine après son 2e procès, Jean-Charles a reçu une visite de la gendarmerie pour l’inviter à se soumettre à un prélèvement ADN ou à signifier son refus le 19 Novembre à 14h.
Et il y a fort à parier que son 3e procès se tiendra 3 semaines après le 3e tir d’essai… (...)
Sources :
– (1) Sud-Ouest : http://www.sudouest.fr/2010/11/16/le-facteur-libertaire-240346-3395.php
– (2) Basta ! : http://www.bastamag.net/article1896.html
– (3) Le télégramme : http://www.letelegramme.fr/ig/generales/france-monde/france/missile-m51-un-prochain-tir-sous-tres-haute-tension-09-11-2013-2296573.php