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NOUS, DANIEL BLAKE
Article mis en ligne le 10 mai 2017
dernière modification le 8 mai 2017

(...) un film tellement fort, tellement puissant qu’il revient me hanter pendant des jours, des semaines, voire des mois.

Moi, Daniel Blake est de ces films rares qui prennent aux tripes immédiatement, nous immergent dans leur univers, leur narration dès les premières images, nous maintiennent en apnée pendant tout l’impeccable déroulé de leur récit et ne nous lâchent plus jamais ensuite. Bien sûr, Ken Loach est loin d’être un perdreau de la dernière pluie, mais on peut aussi se dire qu’à force de tirer sur la corde de la misère sociale, elle finit par casser.

Mais non, la force de ce réalisateur, c’est de porter une caméra à hauteur des gens, de leur vie quotidienne et d’en profiter pour nous raconter avec une précision d’entomologiste la manière concrète dont sont organisés les rapports de force dans la société contemporaine. Et sur ce chapitre, le constat est glaçant.

Deux scènes m’ont particulièrement interpelée.

Dématérialisation de la violence sociale (...)

j’ai pratiquement eu les larmes aux yeux quand Ken Loach filme la pitoyable épopée de Daniel Blake pour s’inscrire en ligne au service dont il dépend pour sa subsistance. Tout y est : les déclassés de la société de consommation qui sont renvoyés brutalement à leur incompétence technologique, la rage contre la machine absurde, les délais qui s’étirent et la dépendance induite à la bonne volonté des gens compétents et équipés.

À l’arrivée, nous avons des droits de papiers dans un monde qui dématérialise la violence sociale et fait disparaitre la misère dans des statistiques vides de sens. Derrière le satisfécit du gouvernement autour de la baisse des bénéficiaires des dispositifs de solidarités comme le RSA, combien de Daniel Blake qui ont fini par baisser les bras devant trop de fausse simplicité excluante ?

La faim et les moyens

Mais la scène qui m’est le plus restée en travers est sans conteste celle de la visite à la Banque alimentaire. (...)

J’ai été frappée au creux de l’estomac quand la mère célibataire, perdant soudain tout contrôle, se jette avidement sur le contenu d’une boite de tomates pelées qu’elle s’empiffre comme une bête. C’est une scène tellement violente, tellement moche dans ce qu’elle raconte que j’ai juste pensé à ce moment-là : c’est typiquement le genre de truc que tu ne peux pas inventer, mais que quelqu’un a vécu et raconté.

Et il m’est pénible d’en avoir, quelques semaines plus tard, la cruelle confirmation :

Cet homme sans papiers, dont les traits laissent penser qu’il est âgé d’une trentaine d’années, vient d’être condamné à quinze jours de prison ferme avec mandat de dépôt pour un vol aggravé requalifié en vol simple. À savoir, le vol d’un paquet de saucisses de Strasbourg, d’un autre de chaussons aux pommes et d’une brosse à dent électrique, dimanche matin, à Auchan Mériadeck.
Montant du préjudice  ? « À peine 20 euros », souligne son avocate. « Il a fait ça parce qu’il avait faim. La preuve : quand il s’est fait prendre, il s’est jeté sur les paquets pour les ouvrir et manger. Ce qui a été retenu comme des dégradations », s’étrangle-t-elle.