
« Le traité (de Maëstricht) se traduira par plus de croissance, plus d’emplois, plus de solidarité », assurait Michel Sapin – avec tant d’autres – quelques jours avant le référendum de 1992. Deux décennies plus tard, l’homme, qui siège à nouveau au gouvernement, peut être fier de l’œuvre européenne. La prospérité et le progrès sont là. Ou presque.
Ainsi, le 10 octobre, la Croix-Rouge internationale publiait un rapport sur la dégradation de la situation sociale en Europe. 43 millions d’individus – on a bien lu : 43 millions – ne peuvent se nourrir suffisamment. 120 millions d’habitants (plus d’un sur cinq) se trouvent au seuil de pauvreté ou en dessous. Dépeignant les conséquences physiques et psychiques, l’institution évoque « la pire crise humanitaire depuis six décennies ».
Malgré l’énormité des données citées, ledit rapport n’a pas fait la Une des grands moyens d’information.
Il est vrai qu’au même moment, l’émotion médiatico-politique se concentrait sur le sort d’une adolescente kosovare reconduite avec sa famille à Pristina. Au point que, lors d’une séquence surréaliste, le chef de l’Etat annonçait à la télévision qu’il était prêt à annuler sur le champ, pour la jeune fille, trois décisions de justice successives (vive la séparation des pouvoirs…).
Une séquence d’émotion chasse l’autre. Quelques jours plus tôt, les torrents de lamentations coulaient sur le sort des réfugiés tentant la périlleuse traversée de la Méditerranée, dont deux embarcations chavirèrent coup sur coup. Plusieurs centaines de malheureux y laissèrent la vie. Le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, se rendit à Lampedusa, versa sa larme, et promit que l’Union ne resterait pas sans réagir.
Cette dernière, conjointement avec les gouvernements nationaux, porte en réalité une responsabilité majeure dans le flux des migrants du désespoir. Ceux-ci fuient la misère ou la guerre, voire les deux. Or la misère est la conséquence du pillage que nombre de pays africains continuent de subir sous une forme néo-coloniale ; et les guerres résultent de décisions politiques. L’expédition libyenne a ainsi fait s’effondrer les structures étatiques de ce pays, entrainant la floraison des réseaux mafieux d’immigration clandestine. Quant aux réfugiés syriens, ils tentent d’échapper à une guerre que Paris, Londres, Washington et leurs alliés régionaux alimentent délibérément en soutenant, finançant et entrainant continument depuis plus de deux ans des guérillas meurtrières. (...)
Il y a donc une parfaite hypocrisie à faire mine de se préoccuper des conséquences, dès lors qu’on est soi-même à l’origine des causes