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Nora Hamdi : « Le pauvre fait plus peur que l’étranger »
Article mis en ligne le 11 mars 2022
dernière modification le 10 mars 2022

Dans son roman « La couleur dans les mains », ressorti en livre audio, l’écrivaine et réalisatrice Nora Hamdi traite de la question de l’identité et de la mémoire postcoloniale, à travers la trajectoire de son personnage qui évolue dans les mondes de l’art parisien.

Yasmine, vingt ans, quitte sa cité pour devenir peintre. Elle emménage dans un studio parisien à la seule condition de changer de nom sur sa boîte aux lettres : Yasmine Belhifa en Janine Beli. Changer de nom lui rappelle un passé trouble. En 1990, elle avait six mois, ses parents mouraient dans la vague d’attentats qui a secoué l’Algérie. L’oncle qui l’a élevée n’a jamais réussi à lui parler du drame. Après avoir participé à des expositions collectives, on lui propose sa première exposition personnelle. Après le vernissage, son oncle lui révèle le secret de ses parents, leurs combats. Ils lui rappellent la richesse de son héritage culturel et que les Arabes ne sont pas tous des terroristes. (...)

NH : Mais ça fait complètement écho avec l’actualité. Quand on m’a proposé l’audio du livre en 2012 c’était déjà marquant. Et je trouve qu’avec le temps malheureusement il y a une totale régression dans les idées. Je trouve que c’est devenu très politisé et qu’on traite les problèmes d’identité à des fins politiques. On pose des problèmes là où il n’y en n’a pas. Ce qui m’a frappé par rapport à l’actualité quand on m’a proposé ça (parce que Zemmour, la question de l’identité tout ça, ça plaît) c’est que ma réflexion sur le sujet était pour moi derrière et en fait non, c’est toujours là, on en est encore là. L’ayant vécu dans les années 90’ quand je suis arrivée étudiante à Paris, ça me faisait sourire mais je trouvais ça triste. Quand j’ai fait l’audio de La couleur dans les mains et que je cherchais une jeune comédienne de 19 ans pour faire la voix du livre audio, j’ai compris qu’il lui arrivait la même chose. Là je me suis dit que ça reste un problème. Je me dis que peut-être on n’aborde pas assez le sujet et moi mon rôle c’est quand même de mettre en lumière ces problèmes-là. (...)

NH : C’est un fait sociétal. Demander aux gens de changer leur identité c’est les nier, c’est nier leur histoire, c’est nier la richesse de ce qu’ils portent. C’est vraiment les formater. Ça me fait immédiatement penser à la colonisation que j’avais déjà traitée dans un film sur la guerre d’Algérie ; en fait on recolonise ces gens-là en leur demandant d’avoir un nom français. C’est une nouvelle manière de recoloniser les gens en fait, en niant d’abord leurs prénom et nom. Et le fait de mettre ça dans le débat public ça devient presque une normalisation. La colonisation c’était avant, or maintenant subtilement c’est quand même une manière de dire « vous êtes toujours colonisés » sans mettre le mot. Du coup on ne parle plus de colonisation mais en fait c’est toujours nier l’identité.

Moi je l’avais abordé dans mon dernier roman sur la guerre d’Algérie quand on demandait aux Algériens, notamment les Harkis, on leur demandait de changer de nom et de nier totalement leurs origines en leur promettant de devenir Français. Et de toute manière ils ne deviennent jamais français parce qu’ils ne sont jamais acceptés même s’ils le veulent bien (d’ailleurs ça aussi c’est intéressant). (...)

Yasmine elle se définit en tant qu’artiste. Ses origines ne sont pas un problème pour elle. Son problème c’est comment devenir artiste n’étant pas de ce milieu-là. Ce sont des milieux qui sont très fermés, c’est le milieu de l’entre-soi et dans lequel on fait bien attention à ce que les pauvres n’y entrent pas, ils se reconnaissent entre eux. Le pauvre fait plus peur que l’étranger ici dans cette histoire c’est pour ça que j’ai voulu mettre les deux sujets en parallèle. (...)